La
paix des dictatures arabes a été sérieusement perturbée à partir de la fin de
2010 par une montée de la contestation populaire. Cette contestation usa, pour
faire entendre, de toutes les formes traditionnelles ou inédites du rejet populaire
de l’autorité. Certes, la multiplication et la généralisation de ces façons
inhabituelles de s’emparer de la scène politique, qui s’articulaient sur des raisons
conjoncturelles pour mettre la société arabe en mouvement, font de cette
période un « temps de métamorphose » plus au moins durable et
profond. Ou, au contraire, un mouvement de l’irruption d’une colère, sûrement, inattendue
par les pouvoirs en place, mais qui extériorisait en réalité une frustration
longtemps ingurgitée et contenue par les victimes de violences multiformes orchestrées
et développées sur la longue durée par les différents dictateurs de la région
qui, du jour au lendemain, ont était obligé de passer à l’offensive pour
protéger leurs trônes, de la sorte que les premiers coups contre les
« outsiders » ont réalisé l’impensable. La chute du régime en Tunisie
a fait démontrer que les peuples arabes, mains nues, pouvaient dicter leurs
lois et faire valoir démocratiquement leurs choix. Ainsi, l’inscription de ces années révolutionnaires,
dans l’ordinaire et l’imaginaire des sociétés arabes, comme « période de
désordre » ou au contraire comme « période de renaissance de la
vitalité populaire » indique que, par delà toute querelle scientifique ou
idéologique, l’année 2011 est le point géométrique par lequel doit transiter
toute analyse de la mémoire et de la situation politique dans le monde arabe
actuel. Comme repère, l’année 2011 est plus que pertinent pour le cas de
l’analyse de la « transition démocratique » dans quelques pays du
« printemps arabe » puisqu’elle est un moment décisif dans la
géopolitique régionale et internationale, pour l’ensemble des bouleversements
politiques, socioéconomiques et idéologiques survenus dans les environs de
cette années charnière. Cette année a
été retenue par les spécialistes comme « année zéro » pour l’ensemble
des attentes dont elle est enceinte au niveau de la demande populaire en
liberté publiques et privées et pour son importance dans l’évolution des
comportements politiques et les bouleversements qu’elle imposa dans l’imagination
collective.
Spontanée
ou réfléchie, la conscience populaire voulait d’abord en finir avec l’ordre
totalitaire. On voulait le changement
d’un système qui n’a drainé qu’un cortège de malheurs : lois liberticides,
propagande, démagogie, et crise économique grave qui contraint les populations
à la misère quotidienne. Il n’y avait pas de grâce pour les régimes en place
aux yeux des populations qui faisaient irruption sur la scène politique. Bien
avant 2011, le monde arabe présentait déjà une situation révolutionnaire. Mais
l'esprit révolutionnaire n'avait pas encore suffisamment mûri pour que la
Révolution éclatât. C'est donc sur le développement de cet esprit d'insubordination,
d'audace, et de dégoût contre l'ordre social, que se dirigèrent les premiers efforts des révolutionnaires. Les peuples arabes découvrent, alors, qu’ils ont leur mot à dire
et que leur opinion, qui était jusque-là récusée, peut désormais être exprimée,
entendue et même influer sur leur propre quotidien. Dans les cafés, dans les
villes et même dans les villages les plus reculées, on a cessé de commenter le football pour
parler de la chose publique. Aujourd’hui, les arabes continuent d’étonner, de
choquer et, parfois, d’inquiéter puisque l’inconnue de l’issue révolutionnaire
demeure entière. Parviendrons-ils à créer de nouvelles sociétés ouvertes et
tolérantes ? La pluralité politique et culturelle triomphera-t-elle dans
une société qui se caractérise par la marginalisation des minorités ? Les questions ne manquent pas mais les
réponses sont difficiles à trouver !