Les amis, collègues et
anciens étudiants de Moncef
Ouannes, professeur de sociologie politique à
l’Université de Tunis et directeur général du Centre d’Études et de Recherche Économiques et Sociales
(CERES), ont appris avec consternation la nouvelle
de son décès à l’aube du 4 novembre 2020, suite au Coronavirus.
En tant que son ancien
étudiant, je ne veux pas, et je ne peux pas laisser partir Moncef Ouannes sans dire d’un mot, ici, ce que nous lui
devons tous. Même ceux d’entre nous qui ont labouré les domaines en apparences
les plus éloignés de ceux qu’il a pendant longtemps fécondés de son labeur
savent le sérieux de ses recherches académiques, son ouverture à la
pluridisciplinarité et son amour des sciences humaines et sociales.
Malheureusement, nous n’avons pas l’habitude, en Tunisie, de tenir la petite
chronique de nos chercheurs-universitaires, vivants et morts. Mais nous avons
le souci quand même de témoigner notre reconnaissance à ceux qui ont été
vraiment des initiateurs et des guides. Moncef Ouannes a tenu ce rôle pendant
des années, avec un dynamisme incomparable – et bien souvent, quand il le
voulait, avec un éclat singulier. Il aura accompagné pendant plus de trois
décennies la marche de plusieurs jeunes chercheurs.
Solidement
établi dans son domaine de recherche, en plein possession des instruments de
l’érudition sociologique, Moncef Ouannes nous aura enseigné de neuf, de profond
et d’inédit sur le fait social. Par sa personne, son enseignement, son œuvre,
ses activités, il a rayonné, au premier rang des sociologues tunisiens, de la
parution de son premier livre jusqu’à sa mort.
Sa vie a
été liée à plusieurs sujets sociologiques comme celui de la personnalité
tunisienne, la personnalité libyenne, la société arabe contemporaine et la
sociologie politique. De fait, c’était un esprit d’une grande ouverture, à
l’abord facile, mettant tous ceux que sa notoriété pouvait impressionner très à
l’aise, grâce en particulier à sa pédagogie qui exprimait sa méthodologie
d’enseignant-universitaire. Cette ouverture d’esprit le conduisait fort
logiquement à valoriser tout ce qui attestait de la capacité à innover, à
inaugurer des pistes nouvelles, à défricher, à imaginer scientifiquement. Il
n’y a donc rien d’étonnant à ce que son œuvre se caractérise notamment par
cette extraordinaire capacité à chercher et à trouver du neuf. Le goût du
paradoxe pouvait le conduire à être iconoclaste. Il n’en avait cure. Il était
trop novateur pour se laisser convaincre de rester sur des chemins trop
orthodoxes. Ses dernières recherches sur « la personnalité
tunisienne » (الشخصيّة التونسيّة) ont choqué certains conservateurs, mais
qui pourrait dire aujourd’hui que Moncef Ouannes n’avait pas vu juste dans sa
thèse ?
De son vivant, Moncef Ouannes était, plus que jamais, engagé tout entier dans une bataille d’idées et dans un combat de réflexion sociologique sur l’avenir des sociétés maghrébines. Nationaliste arabe, il n’a jamais mélangé ses convictions politiques à son enseignement à l’Université. À ceux qui regardent la société d’en haut, avec leurs lunettes macrosociologiques, Moncef Ouannes aimait à rappeler qu’ils ne voyaient pas ce que l’on voit d’en bas, au plus proche du terrain, et à ceux qui se contentent de regarder la réalité d’en bas, il ne manquait de montrer qu’ils ne pouvaient pas voir ce que l’on voit d’en haut et qui est tout aussi réel. C’était la tension entre ces deux regards qui le passionnait. Elle traverse toute son œuvre, et si l’on veut bien y prêter toute l’attention qu’elle mérite, elle a encore de quoi instruire bien des générations de futurs chercheurs.