Pape Chénouda
lors d’une messe à l’intérieur de la Cathédrale Saint-Marc du Caire.
Nazir Gayed Raphaël, l’homme auquel il
appartiendra de diriger à l’échelle nationale et internationale, et pendant
près de quarante ans, les dizaines de millions d’adeptes de l’Église copte orthodoxe, est né le 3 août 1923 en
Haute-Égypte, dans la province d’Assiout. Après sa formation à l’école copte de
Damanhour, puis à l’American School à Benha et à l’école secondaire copte à
Shoubra, il fréquenta à l’âge de dix-sept ans l’école du dimanche de l’église
Saint-Antoine de Soubra. En 1943, Nazir s’inscrivit à l’université du Caire ;
quatre ans plus tard, il était diplômé en histoire et en archéologie. L’année
suivante fut consacrée au service militaire obligatoire. Il participa comme
officier de réserve à la première guerre israélo-arabe en 1948. Il reçut
ensuite du Collège de théologie les diplômes qui lui permettent d’être nommé
lecteur de l’École théologique pour les moines, à Hélouan. Le 18 juin 1954, il
rejoignit les moines du « monastère des Syriaques » de Wadi Natroun, où il fut
chargé de la bibliothèque. Sous le nom religieux d’Abouna Antonious
es-Souriani, il se distingua par son ascétisme et sa grande spiritualité. En
1959, le patriarche CyrilleVI (ou aussi Kyrillus) d’Alexandrie
(1902-1971) le fit venir comme secrétaire personnel, mais le père Antonious
revint quelques mois plus tard à la vie monastique, préférant de loin la vie
dans la solitude. Il choisit une grotte située à quelques dix kilomètres du
monastère, en bordure du Wadi el-Faragh. Cyrille VI, qui avait déjà voulu le
nommer évêque à plusieurs reprises, le convoqua enfin en septembre 1962 au
patriarcat du Caire. Lors de la cérémonie d’investiture, le pontife posa ses
mains sur sa tête et prononça la formule sacramentelle : « Je te
consacre, Chénouda, évêque pour le Collège de théologie et les Écoles de
dimanche ».
Sous la direction du nouvel évêque, le
séminaire de théologie vit augmenter le nombre de ses étudiants à temps plein
de 100 à 207 ; dans le même temps, les autres étudiants passaient de 30 à 300.
Pour la première fois, on admit des femmes, dont certaines furent même nommée
lectrices. En 1969, il fut élu président de l’Association des collèges
théologiques du Moyen-Orient. Évêque chargé de l’éducation, il organisa des
réunions hebdomadaires qui attiraient des milliers de personnes. L’une des
innovations les plus marquantes de ces réunions était l’usage de consacrer
chaque début de soirée à répondre précisément aux questions posées sur des
problèmes théologiques et sociaux. Profondément attaché à la vie monastique,
l’évêque Chénouda n’en continua pas moins de passer la moitié de la semaine au
monastère, dans la prière et la contemplation. Il représenta l’Église copte
lors de nombreuses conférences œcuméniques ; la dernière à laquelle il
participa en tant que tel a été, un mois avant son élection au patriarcat, la
conférence Pro Oriente entre les Églises orientales
orthodoxes et l’Église catholique romaine, à Vienne. À cette conférence, les
participants s’accordèrent sur la formule christologique jadis mise au point
par Cyrille Ier d’Alexandrie (375-444) au sujet de la « una natura Dei
Verbi incarnata ».
Le pape Paul VI avec le patriarche Chénouda III (Cité du Vatican, 1973).
À la suite de son accession au siège
apostolique de saint Marc, en novembre 1971, le nouveau pape d’Alexandrie et de
toute l’Afrique continua de s’intéresser à l’éducation des Coptes. Grâce à ses
soins attentifs, le séminaire de théologie s’agrandit et étendit ses activités.
Six autres divisions furent créées en Égypte : à Alexandrie, à Tanta, à
Minoufiya, à Minya, à Balyana et au monastère de la Sainte-Vierge
d’el-Mouharraq. Dans la diaspora, trois séminaires furent ouverts, deux aux
États-Unis et un en Australie. À l’occasion des festivités du centenaire du
séminaire de théologie, le 29 novembre 1993, Chénouda III inaugura l’Institut
des affaires pastorales, pour développer la formation du clergé.
Le pape Chénouda III, érudit de qualité et grand lecteur de Chénouté d’Atripé (374-466), pouvait mesurer combien historiquement la vie la vie du souverain pontife alexandrin était le premier reflet du pontificat, la première manière d’envisager l’exercice public du magistère.
Face aux problèmes croissants posés par les fondamentalistes, le pape Chénouda III répondit en dénonçant le fanatisme croissants et l’esprit de secte. Dans le même temps, le président Anouar el-Sadate (1918-1981) ainsi que plusieurs membres du Parti national démocratique égyptien multipliaient les insinuations contre le patriarche. La mésentente entre le président et le primat copte finit par atteindre un point tel qu’un décret présidentiel du 3 septembre 1981 ordonna l’exil du patriarche au monastère de Saint-Bishoï et l’emprisonnement de huit évêques et de vingt-quatre prêtres, sans compter plusieurs laïcs influents. Le président Sadate institua un Comité pontifical pour assumer les responsabilités du patriarcat. Mais le synode copte publia de son côté un décret confirmant Chénouda III dans sa position de chef d’Église copte égyptienne.
Pendant un peu plus de quarante mois, le patriarche resta confiné dans son monastère de désert. Nombreux furent les coptes loyalistes à œuvrer pour son retour d’exil, comme c’était le cas de l’ancien secrétaire générale de l’Organisation des Nations unies Butros Butros Ghali (1923-2016), alors vice-Premier ministre au gouvernement de Mamdouh Salem (1918-1988). Le 2 janvier 1985, enfin, le nouveau président égyptien Hosni Moubarak (1928-2020) révoqua le décret de son prédécesseur.
Le pape Chénouda III pendant sa résidence forcée au monastère Saint-Bishoy (1981).
Accompagné de quatorze évêques, Chénouda III, quitta le monastère de Saint-Bishoï dès le 4 janvier ; plus de dix mille personnes remplissaient la cathédrale de Saint-Marc au Caire pour l’accueillir. Chénouda III déclara dans son discours prononcé à cette occasion : « Je n’ai pas d’autres résidence que vos cœurs qui sont remplis d’amour. Je n’ai jamais été séparé de vos cœurs ». Depuis la fin de cet exil, les relations avec Al-Azhar, surtout durant le mandat du grand Imam Mohammed Tantaoui (1928-2010), se sont améliorées, résultat d’efforts constants pour promouvoir un esprit de fraternité et d’unité.
À la vielle du Noël copte de l’année 2011, les évêques
et les archevêques égyptiens présents au concile réunis sous la présidence du
pape égyptien, avaient pu mesurer à quel point le chef de leur Église avait
changé. Il était obligé de se tenir assis quand il parlait, contrairement à
l’habitude qu’il avait de s’adresser à son auditoire, debout et surtout
extrêmement droit. Le 16 mars, à l’aube d’une longue, d’une très longue journée
qui dura, presque sans interruption, jusqu’au lendemain soir, et au cours de
laquelle aucune souffrance ne fut épargnée à l’agonisant, celui-ci déclara
qu’il souhaitait recevoir la communion. On se précipita donc pour qu’il se
soulève, sans pouvoir empêcher qu’il ne retombe sur ses oreillers. Ceux qui
avaient conservé l’espoir de le voir du demi-coma dans lequel la maladie
l’avait enfermé comprirent que le pape était en train de vivre ses dernières
heures.
L’annonce de la mort du 117ème Patriarche de la
prédication de Saint Marc, survenue dans la nuit du 17 mars 2012, provoqua une
ruée de journalistes qui attendaient, depuis au moins vingt-quatre heures,
confirmation de la nouvelle. Ce fut l’Anba Bakhoumious qui eut à charge de
gérer la sucession. Des foules « en larmes » étaient massées devant les portes
de la cathédrale de Marc dans le district de Abbasseya au Caire pour rendre un
dernier hommage à celui qui a dit un jour « L’Égypte n’est pas un pays
dans lequel nous vivons, mais un pays qui vit en nous ».