La démocratie est aujourd’hui
un idéal largement partagé dans la Tunisie
postrévolutionnaire, mais sa mise en œuvre est
l’objet de critiques incessantes et même d’une
crise de confiance à l’égard des institutions et à l’égard de la caste
politique. Sa forme classique, la démocratie élective-représentative, s’est imposée comme régime avec la chute de la dictature,
alors qu’elle était fragilisée par un déficit culturel et méthodologique.
L’ouverture offerte par la
Révolution Tunisienne a amené à des interrogations sur la définition du sens profond de la démocratie. La constitution française de 1958 (article 2) présente le
fait démocratique comme un « gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple » formule qui s’inspire de la célèbre formule du président américain Abraham Lincoln qui définit la démocratie comme étant « The
government of the people for the people » mais c’est rester dans le flou.
En effet, des régimes opposés peuvent s’en réclamer, dans lesquels s’articulent,
de manière différente, pouvoir collectif et libertés personnelles. On croit même
nécessaire d’accoler un adjectif à démocratie (libérale, radicale, réelle,
socialiste, populaire, etc.) Une analyse de la démocratie relève donc
d’une approche plurielle car elle est :
1) Un régime et une forme de gouvernement,
2) Une activité civique
permanente (pas
seulement au moment des élections)
3) Une forme de société
qui, selon les cas, peut insister soit sur la garantie des droits fondamentaux,
soit sur l’égalité des conditions.
La crise de
confiance dans la Tunisie postrévolutionnaire peut être analysée comme le résultat de l’individualisme, du repli sur la sphère privée, de la
coupure du peuple et des élites accusées d’impuissance, voire de renoncement pour
plusieurs raisons :
A) La « volonté générale »
(nationale) est plus en plus limitée par d’autres pouvoirs nationaux ou
internationaux de régulation économique et sociale (les « contraintes
extérieures » sur lesquelles se défaussent tant de discours politiques) ; des
facteurs souvent extérieurs à la politique interviennent comme la méfiance
envers la science et la technique, envers les prévisions économiques, voire, de
manière générale, envers autrui. Le
désenchantement vient de la perte de confiance dans la volonté en
politique, particulièrement où le
rôle de l’État a toujours été très important. Or, la volonté en politique est
caractéristique de la démocratie elle-même, alors que la pensée réactionnaire s’oppose
à l’exaltation de la volonté, et que la pensée libérale s’en méfie.
B) La complexification
actuelle de la société (loin des simplifications de l’analyse en termes de
classes) rend moins évidente la volonté générale.
C) Certaines sciences sociales,
comme la sociologie, dévoilent des mécanismes qui échappent à la volonté. Mais
faut-il aller jusqu’à accepter les thèmes du « déclin du politique », de la «
privatisation du monde », de l’« avènement d’une société d’individus » ? Non,
car se multiplient dans le corps social des formes
politiques non conventionnelles de participation et de concertation (associations, mouvements, groupes divers) qui produisent
des prises de parole, des jugements, des formes de concertation, des
interventions, etc. Ces formes comportent les avantages
de la liberté, de la particularité, de la spontanéité, de l’expérimentation,
mais aussi les dangers de la fragmentation et de l’inefficacité.