Il
est d’usage de dire que le développement de l’esprit démocratique dans telle ou
telle société dépend du bon fonctionnement de l’esprit pluraliste. Mais qui dit
démocratie dit aussi partis politiques. Or, ces centaines de partis tunisiens ne
sont pas encore capables d’assumer leurs fonctions d’éducation politique, de mobilisation
et de représentation d’intérêts divers. Trois ans après de la chute de l’Ancien
Régime, l’expérience politique tunisienne a démontré que les partis de
l’opposition et/ou celles du pouvoir n’apparaissent que lors des défis élections.
Le manque de fonds publics et les limites à la levée de capitaux mettent les nouvelles
formations politiques tunisiennes à la merci de quelques personnes fortunées
pour le financement de leurs activités et de leurs campagnes. Des « scandales », dont les médias
se sont largement fait l’écho, ont ouvert les yeux de l’opinion publique sur le
problème du financement illicite de quelques formations politiques et sur le
lien entre ce phénomène et celui de la corruption. Ces scandales, s’ils n’ont
pas sapé l’importance des partis politiques en tant que piliers de la démocratie
représentative, ont toutefois mis en évidence que des règles claires et des comptes
transparents sont deux éléments clés pour restaurer ou préserver la confiance
des citoyens dans le fait politique. En effet, nul ne nie l’importance de
l’argent en politique, les partis ayant besoin de toujours plus de ressources
pour le financement de leur fonctionnement au quotidien et des campagnes
électorales. Pour autant, l’argent ne devrait pas servir à acheter l’accès au
pouvoir de décision. Donc comment faire pour sanctionner les dons illicites et
prévenir le trafic d’influence ? L’État devrait-il imposer des limites aux dons
effectués par le milieu des affaires ? Les partis devraient-ils recevoir un financement
public ? Les dépenses de campagnes devraient-elles être plafonnées aux termes
de la loi ? Ces questions, posées quotidiennement sur le Forum public, montre le
degré de la préoccupation de la société civile tunisienne par la montée en
puissance de l’argent politique qui peut influencer les décisions politiques par
le biais de moyens financiers mal identifiés. Beaucoup d’analystes ont remarqué que la forme
traditionnelle de financement des partis tunisiens, à savoir le recours
exclusif ou quasi exclusif aux cotisations des membres, n’est plus viable pour
la plupart de ces formations politiques. Mais les autres moyens de financement
privés, qu’ils soient internes ou externes au parti, ne sont pas sans poser de
problèmes. Le versement par les membres de l'ANC à leur parti de cotisations
déduites de leurs indemnités peut constituer une forme déguisée de financement
public difficilement conciliable avec l’indépendance dont ils sont censés faire
preuve dans l’exercice de leur mandat, du moins lorsque ces versements ont un
caractère obligatoire. Avec les autres sources de financement privées, tels les
dons, apparaît le risque que le don d’argent soit lié à des décisions
politiques particulières. Le seul soupçon d’abus dans ce domaine peut saper la
confiance de la population dans le système politique et ses acteurs, et mettre
en danger la démocratie. Accroître la
part du financement public limite l’influence potentielle des particuliers ou
des entreprises privées, mais augmente également la dépendance des partis à l’égard
de l’État. À trop s’en remettre à l’argent public, les partis politiques risqueraient
de perdre de vue les intérêts de ceux qu’ils représentent. En outre, en cas de
financement public, il faut veiller à assurer l’égalité des chances, y compris
pour les « petits »mouvements politiques. La solution idéale réside sans doute
dans un savant dosage des différentes sources de revenu, notamment des
financements privés et publics. Assurément, il faudrait limiter strictement
certaines sources ainsi que le montant des dons privés, et subordonner l’allocation
des financements de l’État à un audit externe des comptes des partis politiques
par des organismes agréés mais au même temps, il faut assurer une totale
transparence du financement des partis politiques afin d’éviter toute influence
potentiellement peu souhaitable de l’argent sur les partis et la politique. Et quel
que soit le système de financement des partis, il ne sera efficace que s’il est
assorti de mécanismes de contrôle bien définis et de sanctions dissuasives en
cas de manquement. Les organes de contrôle devraient être composés de personnalités
indépendantes et dotés de moyens suffisants pour mener à bien la réussite de la
transition démocratique.
mercredi 27 août 2014
mercredi 6 août 2014
Les démocrates tunisiens : D'une crise à l'autre !
Depuis le 23 octobre 2012, la Tunisie
postrévolutionnaire est confrontée à des
crises politiques récurrentes dont l'une des causes fondamentales est la
contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Cette
contestation a pris un relief particulier avec l’assassinat du Mohamed
Brahmi le jour de la fête de la République. En vue de mettre fin à cette
crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se
reconstruire, les délégués de la classe politique et de la société civile,
forces vives de la Nation, réunis en Dialogue inter-tunisien, ont convenu de
mettre en place une nouvelle feuille de route, fondée sur un projet d’une
République démocratique sur base de laquelle le peuple puisse choisir
souverainement ses dirigeants, au terme des élections libres, pluralistes,
démocratiques, transparentes et crédibles. Néanmoins, la
crise démocratique en Tunisie est réelle, multiforme et grave. Il est important
de le souligner tant le mot « crise » est aujourd’hui galvaudé. Réelle et
multiforme, la crise l’est parce que sa nature est double, voire triple. Il
s’agit d’une part d’une crise
électorale, dont on peut mesurer l’aggravation et l’accélération tout
particulièrement ces derniers mois. En outre, elle touche l’ensemble de la
famille socialiste/social-démocrate. En effet, la précédente crise générale de
la l’esprit démocratique concernait surtout les partis sociaux-démocrates
classiques mais la crise actuelle, à l’inverse, ne semble pas connaître de
frontière : les sociaux-démocrates tunisiens ont connu des scores
historiquement bas lors de la première élection libre après la chute de
l’Ancien Régime ; le Forum démocratique
pour le travail et les liberté(Ettakatol), arrivé en troisième position aux
élections de l’Assemblé Nationale Constituante (ANC) , a perdu plus de 20% de
ses membres suite à des dissidence ; le Parti Démocrate Progressiste, qui
devint Al-Joumhouri dès Avril 2012, a été classé quatrième durant les élections
de l’ANC…(etc.). Partout les sociaux-démocrates sont en difficulté mais si
cette crise est aussi grave, c’est parce qu’il s’agit d’autre part d’une crise
de projet en insistant
sur les conséquences terribles pour la social-démocratie de la perte de la base
matérielle de ses politiques de redistribution et de progrès social.
« Afek Tounès », ou plutôt l’option socio-libérale, a certes
représenté un projet cohérent, assumant les choix d’une priorité à l’efficacité
économique plutôt qu’à la justice sociale, et de l’intégration du paradigme
néolibéral à la nouvelle identité social-démocrate de la Tunisie
postrévolutionnaire. Cependant, le succès de cette nouvelle voie politique a
été électoralement éphémère. De plus, en remettant en cause le cœur de
l’identité social-démocrate, à savoir son lien aux plus défavorisés et aux
réalités de la Tunisie profonde, nous pouvons dire qu’elle a accouché d’une
troisième crise, une crise épistémologique.
Surtout, et nous en revenons à la dimension du projet, elle apparaît obsolète à
l’heure d’une crise économique et financière mondiale qui ébranle le paradigme
néolibéral au cœur du capitalisme contemporain. Associée aux dérives de ce
dernier pour ne pas les avoir prévenues, voire les avoir encouragées, en deuil d’un
projet social-démocrate dont les conditions historiques ont disparu, la
social-démocratie est donc en incapacité de proposer une alternative à un « consensus
néolibéral » ébranlé par la crise. De fait, elle ne semble plus avoir de spécificité
qui la distingue des autres partis de gouvernement sur le plan économique et
social. L’actualité récente est là pour le prouver. Alors qu’elle a été une force
d’impulsion, au début du changement révolutionnaire, la social-démocratie ne
semble plus vouée qu’à subir le cours de l’histoire et se conformer à
l’orthodoxie économique du moment, étant elle-même dépourvue de tout projet
alternatif.
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