Depuis le 23 octobre 2012, la Tunisie
postrévolutionnaire est confrontée à des
crises politiques récurrentes dont l'une des causes fondamentales est la
contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Cette
contestation a pris un relief particulier avec l’assassinat du Mohamed
Brahmi le jour de la fête de la République. En vue de mettre fin à cette
crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se
reconstruire, les délégués de la classe politique et de la société civile,
forces vives de la Nation, réunis en Dialogue inter-tunisien, ont convenu de
mettre en place une nouvelle feuille de route, fondée sur un projet d’une
République démocratique sur base de laquelle le peuple puisse choisir
souverainement ses dirigeants, au terme des élections libres, pluralistes,
démocratiques, transparentes et crédibles. Néanmoins, la
crise démocratique en Tunisie est réelle, multiforme et grave. Il est important
de le souligner tant le mot « crise » est aujourd’hui galvaudé. Réelle et
multiforme, la crise l’est parce que sa nature est double, voire triple. Il
s’agit d’une part d’une crise
électorale, dont on peut mesurer l’aggravation et l’accélération tout
particulièrement ces derniers mois. En outre, elle touche l’ensemble de la
famille socialiste/social-démocrate. En effet, la précédente crise générale de
la l’esprit démocratique concernait surtout les partis sociaux-démocrates
classiques mais la crise actuelle, à l’inverse, ne semble pas connaître de
frontière : les sociaux-démocrates tunisiens ont connu des scores
historiquement bas lors de la première élection libre après la chute de
l’Ancien Régime ; le Forum démocratique
pour le travail et les liberté(Ettakatol), arrivé en troisième position aux
élections de l’Assemblé Nationale Constituante (ANC) , a perdu plus de 20% de
ses membres suite à des dissidence ; le Parti Démocrate Progressiste, qui
devint Al-Joumhouri dès Avril 2012, a été classé quatrième durant les élections
de l’ANC…(etc.). Partout les sociaux-démocrates sont en difficulté mais si
cette crise est aussi grave, c’est parce qu’il s’agit d’autre part d’une crise
de projet en insistant
sur les conséquences terribles pour la social-démocratie de la perte de la base
matérielle de ses politiques de redistribution et de progrès social.
« Afek Tounès », ou plutôt l’option socio-libérale, a certes
représenté un projet cohérent, assumant les choix d’une priorité à l’efficacité
économique plutôt qu’à la justice sociale, et de l’intégration du paradigme
néolibéral à la nouvelle identité social-démocrate de la Tunisie
postrévolutionnaire. Cependant, le succès de cette nouvelle voie politique a
été électoralement éphémère. De plus, en remettant en cause le cœur de
l’identité social-démocrate, à savoir son lien aux plus défavorisés et aux
réalités de la Tunisie profonde, nous pouvons dire qu’elle a accouché d’une
troisième crise, une crise épistémologique.
Surtout, et nous en revenons à la dimension du projet, elle apparaît obsolète à
l’heure d’une crise économique et financière mondiale qui ébranle le paradigme
néolibéral au cœur du capitalisme contemporain. Associée aux dérives de ce
dernier pour ne pas les avoir prévenues, voire les avoir encouragées, en deuil d’un
projet social-démocrate dont les conditions historiques ont disparu, la
social-démocratie est donc en incapacité de proposer une alternative à un « consensus
néolibéral » ébranlé par la crise. De fait, elle ne semble plus avoir de spécificité
qui la distingue des autres partis de gouvernement sur le plan économique et
social. L’actualité récente est là pour le prouver. Alors qu’elle a été une force
d’impulsion, au début du changement révolutionnaire, la social-démocratie ne
semble plus vouée qu’à subir le cours de l’histoire et se conformer à
l’orthodoxie économique du moment, étant elle-même dépourvue de tout projet
alternatif.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire