A priori, la pédagogie ne semble pas révéler de la sociologie.
Comme le disait Durkheim, « les
théories pédagogiques sont des manières de concevoir l’éducation »,
elles semblent être le fruit de la réflexion d’individus théorisant une
situation d’apprentissage. Dès lors, on comprend que traiter de pédagogie dans
la Tunisie postrévolutionnaire conduit d’abord à parler des pédagogues qui ont
conçu ces théories, à rechercher les causes de leur élaboration, les traits qui
caractérisent, leurs différences avec d’autres systèmes, leur application dans
les institutions éducatives. Tout cela présente un grand intérêt mais
n’implique apparemment pas une analyse sociologique. D’ailleurs, la
quasi-totalité des pédagogues affirment que leurs système a été conçu pour
tenir compte des caractéristiques des capacités cognitives et affectives des
individus à éduquer, donc, au mieux, que la psychologie, les inspires et la
morale les guide. Reste que ces systèmes pédagogiques sont plus structurés par
les jugements de valeur qui sont sous-jacents aux finalités recherchées que par
toute autre considération. Mais énoncer des jugements de valeur, c’est prendre
parti sur l’avenir du sujet à éduquer, ce qui revient à formuler un projet
social ; c’est aussi s’exposer à la contradiction portée par d’autres
systèmes adossés à d’autres finalités ; en cela, c’est devenir un enjeu de
luttes sociales sur l’avenir social. Si tel est le cas, on voit déjà que la
pédagogie, même la plus attachée aux propriétés psychologiques des individus,
ne peut se soustraire à une analyse sociologique. Il importe ensuite de
comprendre en quoi les conceptions pédagogiques correspondent aux
transformations sociales ; pour le dire autrement, il importe de saisir
les rapports existant entre « l’espace social » dans lequel se
développent ; à un moment donné, des conceptions pédagogiques, et les
forces qui structurent cet espace.
vendredi 2 octobre 2015
mercredi 24 juin 2015
Quand le monde arabe a basculé
La
paix des dictatures arabes a été sérieusement perturbée à partir de la fin de
2010 par une montée de la contestation populaire. Cette contestation usa, pour
faire entendre, de toutes les formes traditionnelles ou inédites du rejet populaire
de l’autorité. Certes, la multiplication et la généralisation de ces façons
inhabituelles de s’emparer de la scène politique, qui s’articulaient sur des raisons
conjoncturelles pour mettre la société arabe en mouvement, font de cette
période un « temps de métamorphose » plus au moins durable et
profond. Ou, au contraire, un mouvement de l’irruption d’une colère, sûrement, inattendue
par les pouvoirs en place, mais qui extériorisait en réalité une frustration
longtemps ingurgitée et contenue par les victimes de violences multiformes orchestrées
et développées sur la longue durée par les différents dictateurs de la région
qui, du jour au lendemain, ont était obligé de passer à l’offensive pour
protéger leurs trônes, de la sorte que les premiers coups contre les
« outsiders » ont réalisé l’impensable. La chute du régime en Tunisie
a fait démontrer que les peuples arabes, mains nues, pouvaient dicter leurs
lois et faire valoir démocratiquement leurs choix. Ainsi, l’inscription de ces années révolutionnaires,
dans l’ordinaire et l’imaginaire des sociétés arabes, comme « période de
désordre » ou au contraire comme « période de renaissance de la
vitalité populaire » indique que, par delà toute querelle scientifique ou
idéologique, l’année 2011 est le point géométrique par lequel doit transiter
toute analyse de la mémoire et de la situation politique dans le monde arabe
actuel. Comme repère, l’année 2011 est plus que pertinent pour le cas de
l’analyse de la « transition démocratique » dans quelques pays du
« printemps arabe » puisqu’elle est un moment décisif dans la
géopolitique régionale et internationale, pour l’ensemble des bouleversements
politiques, socioéconomiques et idéologiques survenus dans les environs de
cette années charnière. Cette année a
été retenue par les spécialistes comme « année zéro » pour l’ensemble
des attentes dont elle est enceinte au niveau de la demande populaire en
liberté publiques et privées et pour son importance dans l’évolution des
comportements politiques et les bouleversements qu’elle imposa dans l’imagination
collective.
Spontanée
ou réfléchie, la conscience populaire voulait d’abord en finir avec l’ordre
totalitaire. On voulait le changement
d’un système qui n’a drainé qu’un cortège de malheurs : lois liberticides,
propagande, démagogie, et crise économique grave qui contraint les populations
à la misère quotidienne. Il n’y avait pas de grâce pour les régimes en place
aux yeux des populations qui faisaient irruption sur la scène politique. Bien
avant 2011, le monde arabe présentait déjà une situation révolutionnaire. Mais
l'esprit révolutionnaire n'avait pas encore suffisamment mûri pour que la
Révolution éclatât. C'est donc sur le développement de cet esprit d'insubordination,
d'audace, et de dégoût contre l'ordre social, que se dirigèrent les premiers efforts des révolutionnaires. Les peuples arabes découvrent, alors, qu’ils ont leur mot à dire
et que leur opinion, qui était jusque-là récusée, peut désormais être exprimée,
entendue et même influer sur leur propre quotidien. Dans les cafés, dans les
villes et même dans les villages les plus reculées, on a cessé de commenter le football pour
parler de la chose publique. Aujourd’hui, les arabes continuent d’étonner, de
choquer et, parfois, d’inquiéter puisque l’inconnue de l’issue révolutionnaire
demeure entière. Parviendrons-ils à créer de nouvelles sociétés ouvertes et
tolérantes ? La pluralité politique et culturelle triomphera-t-elle dans
une société qui se caractérise par la marginalisation des minorités ? Les questions ne manquent pas mais les
réponses sont difficiles à trouver !
lundi 23 mars 2015
De la raison utile : Pour une herméneutique culturelle en Tunisie
Depuis la chute de l’Ancien Régime, tout les tunisiens
s’accordent pour reconnaître le rôle de l’intellectuel dans la mise en question
des clichés et des représentations stéréotypées qu’entretiennent et projettent dangereusement
la nouvelle « culture » du néo-djihadisme. Néanmoins, une série de
question s’impose pour mieux comprendre le rôle de cette intelligentsia sur le
forum public. Ainsi, faut-il toujours que l’intellectuel adopte
une position critique vis-à-vis de son quotidien politique ? Faut-il que l’universitaire
s’oppose à l’hégémonie idéologique ? Faut-il que le savant choisisse le camp
des minorités, des opprimés, des victimes et, ce faisant, fasse non seulement
des responsabilités qui sont le lot de ces minorités, de ces opprimés, et de
ces victimes, mais aussi de leur capacité et de leur volonté de se débrouiller
tout seuls sans son aide bienveillante ? L’intellectuel tunisien fait-il face à
des situations toujours si claires et si tranchées que ses propres choix
politiques et ses responsabilités personnelles pèsent peu dans la balance ?
Faut-il que cet intellectuel soit moralement bon et se range toujours, sinon du
côté des « anges », du moins du côté du progrès?
Cette série de questions de type rhétoriques affleure à l’esprit
maintenant que se dessine devant nous le nouveau paysage politique de la deuxième
république tunisienne. Et pourtant ces questions sont en réalité anciennes et
pas seulement rhétoriques puisqu’elles sont déjà posées, par des universitaires
tunisiens, depuis les débuts des 70. Toutefois, cette vieille problématique,
toujours en renouveau, doit être redéfinie dans le but de surmonter notre
retard civilisationnel et culturel par une réflexion sociopolitique méthodique
et approfondie. C’est pourquoi, on peut dire que la question du devenir démocratique
en Tunisie est loin d’être tranchée surtout que la terreur de l’Attaque de Bardo sonna
l’alarme de réveil, pour toute la société. Sur cet arrière-fond, la question immédiate
qui se présente à l’intellectuel est de savoir si nous allons devoir révolutionner
nos systèmes éducatifs pour préparer le terrain à une révolution de type
culturelle cette fois-ci ?
dimanche 8 février 2015
Les nouveaux enjeux des politiques culturelles dans la Tunisie postrévolutionnaire
La question de la culture telle qu’elle est mobilisée au
sein des politiques culturelles de la Tunisie postrévolutionnaire doit être
posée au pluriel. Dans l ́optique classique, la plupart des partis politiques
tunisiens ont eu tendance à considérer la culture comme une valeur ayant seulement
des liens avec la qualité de vie. Ainsi, les stéréotypes d’un milieu artistique
fertile qui se traduit par des formes d ́habitat accueillantes, par un niveau
élevé de participation aux activités sportives et récréatives reflètent la
crise culturelle profonde de certaines élites de la deuxième république. Il apparaît aujourd’hui, de plus en plus
clairement, que le non-développement, ou le mal-développement, de certaines régions
tunisiennes ne dépend pas exclusivement de paramètres économiques ou politiques, mais aussi de
paramètres culturels.
Une culture repliée
sur elle-même, très hiérarchisée et axée uniquement sur des valeurs
traditionnelles, peut devenir rigide et rendre d’autant plus difficile
l’adaptation à des changements profonds. Par contre, si la tradition accorde
une grande place à la tolérance et au débat, ainsi qu’à la dignité de chacun et
à un harmonieux vivre-ensemble, elle peut faciliter le passage à une autre
forme de société, qui trouvera
pleinement sa place dans une mondialisation plus humaine et dans une société de
la connaissance respectueuse de la
diversité culturelle. Il est vrai,
aussi, que les échecs de certaines politiques économiques et de certains
modèles de développement, souvent
imposés par des gouvernements éloignés de la réalité vécue, ont empêché ce
passage vers une culture humaniste et ouverte. L’université peut, à ce
niveau, contribuer à instaurer une culture tunisienne ouverte, plus résiliente
et mieux à même de s’adapter aux
changements induits par les différentes crises (financière, économique, sociale,
climatique…) auxquels nous devons faire face. Une nouvelle stratégie éducative
permet donc d’instaurer un dialogue entre les différentes traditions locales,
de désamorcer les conflits idéologiques
et d’aider les citoyens à découvrir
leurs talents, à prendre confiance en eux, à
se motiver et à se responsabiliser, pour pouvoir mieux s’engager au service de la Tunisie. Il
est particulièrement important de miser ici sur la jeunesse, première ressource
du pays, au cœur des nouvelles stratégies
culturelles, en créant une nouvelle génération, capable d’évoluer entre différentes cultures, de faire preuve
d’imagination, désireuse de partager et
de tisser des réseaux de coopération,
tolérant les divergences d’opinion et prête à travailler de manière transparente.
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