S’il est un
concept récurrent sur la scène politique tunisienne postrévolutionnaire, c’est
celui de l’État de droit (Rule of Law,
Rechtsstaat). Il est pourtant
frappant de constater que le sens à donner à cette expression sur le terrain demeure
incertain et les définitions variant au gré des convictions des politiciens. Le
concept d’État de droit est d’abord un concept juridique qu’il revient à la
théorie du droit de définir ; c’est pourquoi il important de rappeler les
conditions épistémologiques d’une discipline dont la scientificité fut
contestée aussitôt après que le juriste Hans Kelsen eût tenté d’en bâtir les
fondements. L’originalité de la définition normative proposée réside dans sa
dérivation même ; le contenu notionnel qui en est l’aboutissement est
l’élaboration rigoureuse du régime que John Locke, par exemple, décrivait dans
son « Traité du gouvernement civil ». L’originalité de la définition institutionnelle est
plus forte, de même que sa mise en rapport avec l’aspect normatif. L’État de
droit est défini comme format normatif et institutionnel, et comme instrument
de réalisation de cette valeur qu’est la liberté individuelle dite constructive.
En effet, la réflexion sur le droit comporte deux aspects : l’étude du droit
comme technique (science ou théorie du droit) et l’étude du droit dans son
rapport aux valeurs (ou philosophie du droit au sens strict). Une réflexion
philosophique sur le droit ne peut faire l’économie d’une réflexion théorique
préalable, car la théorie permet de déterminer les limites de ce que le droit,
comme instrument, permet de réaliser. La logique propre du droit comme technique
est la fonction des limites qui affectent l’action de l’homme sur son
environnement ; ce qui implique nécessairement qu’une théorie du droit ne
peut s’articuler qu’au départ d’une anthropologie. Autrement dit, la réflexion
sur le droit ne peut éviter des concessions préliminaires. C’est en cela, et
non dans l’immédiateté du rapport aux valeurs, que la réflexion sur le droit,
même théorique, est importante dans notre contexte tunisien. Mais si elle veut
prétendre à l’universalité, la théorie du droit se doit de cantonner ces
concessions au strict minimum, et le théoricien du droit, ne pas tenter de les
occulter, de manière à ce qu’elles puissent être critiquées. Si elle n’est pas encore
assumée au niveau pratique, cette nécessité révolutionnaire est l’un des biens
les mieux partagés par les théoriciens du droit. Herbert Lionel Hart les désigne comme elementary
truths, natural necessity, salient characteristics, truisms
et encore the minimum content of Natural Law. Parmi ces «
truismes », selon H. Hart, figurent la vulnérabilité humaine, les ressources
limitées, l’altruisme limité. Randy Barnett parle lui des « données de la
nature humaine et de la nature du monde dans lequel les humains vivent ». Hans Kelsen lui-même n’échappe pas à cette
logique tout au long de son exposé intitulé « Théorie pure du droit ». Cette méthode s’exprime par des normes
individuelles qui peuvent être conformes à des normes générales, ou ne pas
l’être. Le respect de la métarègle (généralité des normes) par le pouvoir
normatif général doit être contrôlé par des institutions distinctes et
indépendantes de ce pouvoir. De même, les normes collectives doivent être édictées
par des institutions distinctes et indépendantes du pouvoir normatif général
afin de créer un nouveau climat basé sur la suprématie de la loi, la séparation
des pouvoirs et sur la raison de l’État.
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