On n’est pas encore habitué à parler de la mémoire collective du fait
révolutionnaire, même par métaphore. Il semble qu’une telle faculté ne puisse
exister et durer que dans la mesure où elle est liée à un corps ou à un cerveau
individuel. Admettons cependant qu’il y ait, pour les souvenirs, deux manières
de s’organiser et qu’ils puissent tantôt se grouper autour d’une personne
définie, qui les envisage de son point de vue, et tantôt se distribuer à
l’intérieur d’une société grande ou petite, dont ils sont autant d’images
partielles. Il y aurait donc des mémoires individuelles et des mémoires
collectives. En d’autres termes, l’individu participerait à deux sortes de
mémoires ; mais, suivant qu’il participe à l’une ou à l’autre, il
adopterait deux attitudes très différentes et même contradictoire. D’une part,
c’est dans le cadre de sa personnalité, ou de sa vie personnelle, que
viendraient prendre place ses souvenirs : ceux-là mêmes qui lui sont
communs avec d’autres ne seraient envisagés par lui que sous l’aspect qui
l’intéresse en tant qu’il se distingue d’eux. D’autre part, il serait capable à
certains moments de se comporter simplement comme le membre d’un groupe qui
contribue à évoquer et entretenir des souvenirs impersonnels, dans la mesure où
ceux-ci intéressent la collectivité. C’est pourquoi nous proposons d'étudier l'utilisation du concept de tradition en
rapport avec la construction d'une mémoire collective dans les champs
littéraire, folklorique et ethnologique dans la Tunisie postrévolutionnaire.
Nous parlons de construction et de mémoire collective. Les choix du site, du plan, des matériaux, du
parti d'aménagement et d'agencement se font selon des besoins d'ordre pragmatique et symbolique. Dans l'ordre de la mémoire d'un individu, le récit de vie qui en rend compte est une construction, donc un choix, qui répond au besoin de représentation de soi. Rhétorique, il vise à persuader le destinataire que la vie du « sujet qui se raconte » a un sens, positif ou négatif. Du magma intérieur où sont enfouis souvenirs, impressions, sensations et paroles, le « sujet qui se raconte » tire les éléments dont il fera un récit, suite de transformations narratives, véritable programme narratif qui rend compte du parcours où le sujet fit l'apprentissage de ses rôles. Les contextes d'énonciation transformeront ce programme en mettant en évidence certaines séquences et en occultant les autres. L'identité du « sujet qui se raconte » est donc une présentation hiérarchisée des matériaux laissés dans la mémoire par les expériences de socialisation, tissu narratif fait de la chaîne du « moi- nous » et de la trame de « l'autre-eux ». Le « sujet qui se raconte » met aussi en scène les autres qui, tout au long de sa vie, lui ont fait prendre conscience de ce qui le distinguait. Lorsque le sujet parle, ce sont les autres en lui qui parlent ou le font parler. L'adulte qui, par tout son comportement, dit sa douleur s'adresse en réalité à ceux et celles qui lui ont autrefois fait violence. En l'écoutant, nous n'entendons souvent qu'un sourd écho de cataclysmes passés. Construire dans le champ de la mémoire est un choix, parfois conscient, le plus souvent inconscient. Le champ de la mémoire collective est-il
différent? Quel est donc « le sujet qui parle » au nom de tous ?
Au niveau des groupes d'appartenance, la mémoire microcollective
est partagée par tous et donne forme aux pratiques culturelles
coutumières, pragmatiques, symboliques et esthétiques dans lesquelles
les membres se reconnaissent et expriment leur identité. La mémoire
microcollective est donc inscrite dans les savoirs, les
savoir-vivre et les savoir-faire et s'exprime
dans les gestes de la vie quotidienne. Au niveau macrocollectif, en Tunisie
postrévolutionnaire, comme en Egypte, au Yémen ou encore en Libye, et suivant les
situations historiques, la tradition a servi de fondement
identitaire et a joué un rôle non négligeable dans la construction
d'une mémoire collective par des instances institutionnelles.
jeudi 30 mai 2013
lundi 27 mai 2013
Tous contre le terrorisme et la violence politique
L’espace du
printemps arabe n’en finit pas d’être traumatisé par la résurgence systématique
de violence de toutes sortes qui elles-mêmes engendrent une terrible dynamique
de la haine. La Syrie tout
particulièrement s’enfonce chaque jour d’avantage dans une spirale suicidaire
dont personne ne voit la fin malgré les appels au retour, à la paix civile qui
se multiplient. La Libye s’enlise :
Deux ans après la révolution, le pays est aujourd’hui coupé en cinq zones
(Misrata, Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, la Zone du Sud avec les
Toubous), les milices constituées par des éléments tribaux disposent chacune de
leur propre armée dans les quatre premières zones. À cela il faut ajouter de
nombreux conflits tribaux. Ainsi que des populations en déshérence. De violents
affrontements ont eu lieu, depuis la chute du régime Moubarak, entre coptes et
musulmans. Le bilan est une dizaine de morts et plus d’une cinquantaine de
blessés. La Tunisie a basculé, elle aussi, dans le vertige de la violence
depuis l’assassinat du leader de l’opposition Chokri Belaïd. C’est pourquoi, il
nous a paru utile d’ouvrir quelques pistes de réflexions dans un dossier
consacré aux terrorismes et à la violence politique. Comme la notion de terrorisme est extrêmement
ambiguë, nous proposons ici quelques points de repères.
La première
difficulté d’approche du terrorisme tient à son introuvable définition. Le
terme se trouvant à l’interface des sciences sociales et politique, il est
pratiquement impossible d’arrêter une définition qui soit à la fois pertinente
et opérationnelle dès lors que cette appellation renvoie toujours à des
connotations très négatives que les acteurs politiques peuvent utiliser pour
disqualifier l’autre. D’une certaine manière, on peut toujours devenir le
terroriste de quelqu’un ; c’est, en effet, un truisme de rappeler que,
dans certaines configurations politiques ou militaires, tel acteur sera terroriste
pour les uns et héros ou résistant pour les autres. Comme cette qualification
est un moyen de disqualification, elle devient une arme politique redoutable :
l’adversaire traité de « terroriste » n’a plus droit à la moindre
considération ; il est ravalé à un niveau infrapolitique d’où sont exclues
toutes les règles du jeu politique. Avec
un terroriste, il n’est pas question de discussion, de négociation ou a fortoriori de compromis car cela
signifierait une reconnaissance de nature politique qui est, par définition,
exclue dans une scène politique démocratique et plurielle.
samedi 4 mai 2013
L'imposture et la lumière de l'espoir
Deux ans
après le « printemps arabe », les mouvements
fondamentalistes-radicales, loin de s’essouffler, continuent de se développer
sur des terrains traditionnels ou d’autres plus inattendus, que l’on relève en
Libye, en Égypte ou encore en Tunisie. Cependant, analystes et experts sont
souvent réduits à des études au cas par cas sans pouvoir tirer de conclusions
globales, tant le sujet apparaît se fondre en creux dans un contexte sociale ou
politique à chaque fois différent. Les expériences hétérogènes que nous avons
pu observer durant ces deux dernières années nous amène à analyser les causes
de cette autolégitimation. En effet, les échecs des modèles de développement
imposés dans le monde arabe et la faillite des pouvoirs personnels,
autoritaires et oligarchiques qui ont généré des « dynasties » de
rapaces et de corrompus incapables d’entrevoir un rapport politique à leur
société ; a pour partie déclenché le phénomène du « retour au
source » dans une bonne partie de la société arabe ce qui traduit une
sorte de malaise socio-psychologique . À la fois contestataire, identitaire et
passéiste, l’islamisme politique attire à lui aussi bien les arrivistes
et les serviteurs de l’ancien régime que les masses. Le phénomène
d’islamisation de la société est adapté à chaque réalité tel un
« marketing » puissant dans le vécu quotidien des personnes
auxquelles il s’adresse. Le discours adopté est simple, animé par un background
historico-religieux. Il est souvent antimoderniste et très répressifs à
l’encontre des acquis de l’État moderne. À travers cette réalité, on peut
découvrir des mouvements hiérarchiques dirigés par une sorte de « guide
suprême ». Ainsi, pour consolider leur pouvoir, ces nouveaux régimes ont
noué des dizaines d’alliances avec des associations de tendance religieuse qui
jouent le rôle des propagandistes et de bras séculier. Néanmoins des débats
internes en Tunisie et en Égypte commencent à maitre l’accent sur l’échec de
cette perspective adopté par les islamistes. D’ailleurs, la notion de
« l’islam politique » doit être réexaminé car il s’agit d’une notion
qui nous amène à parler d’un régime théocratique plutôt que démocratique. Cette
dernière notion signifie « le gouvernement du peuple, par le peuple,
pour le peuple » selon la fameuse expression d’Abraham Lincoln. Cette
définition nous amène à parler de la démocratie directe où le pouvoir est
exercé directement par les citoyens, sans l'intermédiaire d'organes
représentatifs tel que les « Cheikhs !». Ainsi, l'idée de démocratie
directe doit se rapporter à différentes conceptions de l'exercice direct de la
souveraineté par le peuple. Si aujourd'hui le terme de démocratie renvoie généralement
à l'idée de gouvernement représentatif, il fut longtemps associé à celle de
démocratie directe, notamment en référence à la démocratie athénienne où
les citoyens réunis en assemblée y décidaient des lois, les magistrats aux
fonctions administratives et exécutives étaient tirés au sort, et les
magistrats dont la fonction nécessitait une expertise étaient élus et
révocables par les citoyens. Cette description du fond philosophique de la
démocratie nous pousse à poser les questions suivantes : Sommes-nous en train
d’assister, à des révolutions politiques inachevées de pair avec une régression
économique ? Les pays arabes impliqués finiront-ils par être des
démocraties réelles ? À la lumière de ces vrais défis, qui exigent de
vraies actions, on peut noter que le temps est venu pour que les élites arabes se montrent à la hauteur des espoirs des peuples et de faire justice à leur
potentiel culturel et politique.
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