Il est peu de réalités aussi
essentielles et aussi sujettes à disputes que le fait révolutionnaire en
Tunisie. Les discours qui le nient ne manquent pas, les oppressions qui la
bafouent sont légion. Néanmoins, les justifications théoriques et les défenses
du mouvement révolutionnaire en Tunisie comme dans le reste des pays du « printemps
arabe » s’inscrivent dans le contexte polémique de ces dénégations. Tenue
par une pure illusion ou présentée comme réalité du tunisien, cantonnée dans l’ordre
d’agir ou renvoyée du côté de la subjectivité, déclinée au pluriel ou limitée
au singulier, prise pour une détermination politique ou exclusivement éthique,
la révolution tunisienne semble être l’objet des discours les plus contradictoires
comme si elle était rebelle à toute tentative de définition. Cette polysémie
fluctuante pourrait recevoir une interprétation commode : il n’est pas
possible de définir ce qui échappe à la délimitation. La révolution du peuple
tunisien, en effet, n’a pas d’essence puisqu’elle ne saurait se laisser
enfermer dans une délimitation. Comment pourrait-on déterminer ce qui échappe à
toute délimitation ? Ce type de discours est, au fond, une dérobade car la
révolution tunisienne a une signification précise qu’il doit être possible de
clarifier ; il faut bien convenir, en effet, que les ambiguïtés d’un tel
essai de définition n’interdisent pas d’entrevoir un sens commun. Dans le cas
contraire, il serait même impossible d’en parler. Tout d’abord, la révolution tunisienne est
souvent présentée comme un objet de conquête et simultanément comme une réalité
inaliénable. Tout à la fois un idéal et une réalité constitutive de l’être même
du tunisien. Pourtant, si elle est à conquérir, elle n’est pas déjà donnée ;
si, en revanche, elle est inaliénable, elle est toujours déjà là. Ces deux pôles
induisent à leur tour des contradictions : si on la tient pour inaliénable,
sa défense apparaît inutile et contradictoire ; si on la défend, elle peut
être tenue pour une réalité fragile, voir contingente et relative. Cette première difficulté reconduit à une
seconde : la définition consiste à tracer la limite qui circonscrit l’objet
dont on parle. Or la révolution est surgissement imprévisible et le discours
qui lui assigne par un terme la nie par
là même. L’objectivation de la révolution est l’anéantissement
du mouvement révolutionnaire même. Tout ce passe donc comme si l’effort de définition
de la révolution tunisienne était frappé d’impuissance à sa source même :
le projet de faire passer la révolution le langage quotidien est contradictoire
en soi, puisque le langage immobilise et généralise ce qui, précisément,
échappe à toute fixité et généralité. Ainsi, la révolution est liée à la
dynamique d’un agir rebelle à toute immobilité c'est-à-dire qu’elle est indissociable
d’une temporalité mouvante, ouverte à l’imprévisible.
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