Les temps que nous vivons incitent aux
examens de conscience. Je ne pense pas qu'il faille en abuser mais il est
méritoire de s'essuyer les pieds avant de franchir le seuil du Temple, il faut
tout de même, à un moment, suspendre cet exercice purificatoire, et se décider
à entrer. Ainsi, notre Tunisie, notre « révolution », contestés, divisés, ne sauveront point ses
valeurs et ses significations s'ils se bornent à les passer au crible de leur
esprit critique, et, comme on dit volontiers aujourd'hui, à les repenser, au
lieu de les vivre. Malgré tout, nous ne pouvons pas, nous citoyens, n'être pas
attentifs à cette évidence qu'est la transformation de l'État, dans ses tâches
et dans ses structures : l'ampleur du phénomène postrévolutionnaire,
l'accélération de son rythme, nous arrachent au « confort intellectuel »,
privilège des temps paisibles; que nous le voulions ou non. Depuis plus de
trois ans, les faits nous imposent une incessante remise en question des
constructions des catégories juridiques dans lesquelles nous avons été nourris;
ce n'est pas là une simple nécessité de l'intelligence, mais bien une
obligation pratique; l'insertion dans le droit des formes nouvelles de l'action
du pouvoir ne peut se réaliser qu'au prix d'un perpétuel réajustement de ce
droit. Ce qu'on appelle en Tunisie la crise du droit n'a pas d'autre cause. Notre
système de droit public a achevé de préciser ses grandes lignes à la charnière
du 20ème siècle or les temps ont changé mais le système, dans ses lignes
essentielles, demeure ! Comment ne pas nous demander, dès lors, dans
quelle mesure il a conservé sa vertu ? Comment ne pas nous demander si, en le professant,
en le défendant, nous ne nous acharnons pas à prolonger par des étais fragiles
la durée d'une vieille maison déjà condamnée, à retarder un inévitable écroulement,
à maquiller un cadavre ? Or, la notion de l'État de droit est au cœur du
système révolutionnaire. En elle, les citoyens ont cru trouver, sur le terrain
des relations entre l'exécutif et le peuple, la règle suprême de la liberté.
Elle est devenue l'un des maîtres-mots de la « Tunisie des lumières ». Ces signes ont pris une valeur de
slogan car l’essence de la « révolution » est faite pour le droit et
la liberté; à ces abstractions, on a demandé d'échauffer l'héroïsme des révolutionnaires
et des résistants au despotisme. On ne veut point d'autre témoignage de cette
popularité du concept que notre « hymne révolutionnaire » qui unit,
en une indissociable trilogie, « la
dignité, la liberté, la démocratie». En trois mots, les révolutionnaires ont
résumé toute l'idéologie de l'État de droit. Néanmoins,
face à ce pouvoir transformé, le principe de la citoyenneté reste-t-il, pour la
liberté, une garantie? Le tunisien peut-il encore se fier à lui pour le garder de
l'arbitraire? Telle est la double interrogation à laquelle nous allons chercher
une réponse…
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