dimanche 24 avril 2016

La Tunisie et le retour de la Mémoire







Aurions-nous un problème avec notre histoire ? Il y a quelques années, la grande angoisse était l’oubli. L’accélération technologique déjà perceptible, le règne de la télévision et de l’événement permanent suggéraient une fuite en avant et la disparition irrémédiable du monde qui avait précédé. Aujourd’hui, alors que le XXIème siècle est déjà entré dans sa deuxième décennie, l’histoire n’en finit pas de nous revenir. Jusqu’à étouffer le présent ? Les premières lois postrévolutionnaires sont nées pour conjurer le risque de l’oubli, pour lutter contre ceux qui misaient sur cet oubli pour restaurer des idéologies meurtrières. Mais très vite le mouvement s’est emballé et notre pays s’est engagé dans une entreprise collective de commémoration, qu’on pourrait aussi bien qualifier de restauration. Victimes oubliées, faits historiques occultés ou en risque de l’être, injustices passées à réparer, l’histoire officielle, longtemps défaillante et volontiers sélective, s’est mise au fil des ans à raccommoder le tissu déchiré d’une histoire collective trouée par des drames, des tensions, des violences. Le placard de la République était plein de cadavres, et il n’est sans doute pas mauvais d’avoir enfin ouvert la porte. Au défaut des mythes du progrès triomphant, de la République unie, de l’élan confiant vers l’avenir, on a redécouvert des massacres contres les opposants politiques, l’injustice faite envers quelques régions, les blessures enfouies des descendants de certaines catégories sociales, et la responsabilité des autorités tunisiennes de la décortication de la mémoire collective.  Toutes sortes de secrets de famille, en quelque sorte, qui n’étaient pas vraiment secrets mais qui ont pris, d’un seul coup, beaucoup de place dans l’espace public. Les lois de mémoire apparaissent a posteriori comme une tentative maladroite et surtout terriblement tunisienne d’accompagner ce grand retour de la mémoire.
Pourquoi pas, après tout ? Mais il faut bien l’admettre : nous nous sommes pris les pieds dans le tapis. Les limites des lois mémorielles et les excès auxquels elles pouvaient donner lieu sont apparus avec évidence. Respecter le passé et faire vivre la mémoire, oui ; pétrifier le présent dans des drames dont les acteurs principaux sont morts depuis plusieurs générations, non. C’est une question de bon sens. Toute la question aujourd’hui est que si chacun conviendra sans peine que nous sommes allés trop loin dans la passion commémorante, il est difficile de revenir en arrière. Et que ces mémoires à vif qui donnent de la voix et encombrent aujourd’hui l’espace public, on ne peut espérer les faire rentrer dans le silence si accommodant de l’oubli collectif.

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