mardi 13 août 2013

La Tunisie et les responsabilités révolutionnaires


On estime couramment que nous vivons une période historique durant laquelle le mouvement révolutionnaire tunisien se reconnaît à certains principes essentiels et à un ensemble d'institutions et de pratiques par lesquels passe la réalisation de ses objectifs. Son point de départ est la dignité citoyenne, cependant, la « révolution du jasmin » a aussi une orientation et une conception spécifique du citoyen, non seulement comme ayant des droits et des responsabilités, mais comme un participant actif aux décisions politiques qui ont une incidence directe sur sa vie. Le fait révolutionnaire a pour principes fondamentaux le droit du peuple d'influer sur les décisions publiques et de contrôler les décideurs, c’est pourquoi il a pour base éthique l'obligation de traiter toutes les personnes avec le même respect et de leur attacher la même valeur dans la prise de ces décisions. Cet engagement politique démontre le sérieux dont a fait preuve la culture révolutionnaire. Néanmoins, il est singulier qu'en notre période d'universelle curiosité, personne n'ait tenté l'étude des différentes structures de pensées dans la Tunisie postrévolutionnaire d’une manière profonde et académique. Il y a pourtant là un phénomène politique digne d'intérêt à plus d'un titre puisqu’il marque fortement le processus de la transition démocratique et la destinée politique du pays. Cette démarche nous amène à poser un nombre important de questions clés pour comprendre la phénoménologie politico-culturelle dans la Tunisie postrévolutionnaire : 
 * Qu'est-ce que l'opinion qui règne ?
 * Est-ce bien la même, au pouvoir près, que celle qui ne règne pas ?
 * Et, sinon, quelles sont ses lois et ses tendances propres?

En effet, pour que l'opinion publique gouverne, au sens précis du mot, qu'il y ait démocratie, il faut qu'elle commande et pour qu’elle s’exprime de la sorte, il faut qu'elle soit organisée, fixée et centralisée. C’est-à-dire qu’elle doit effectuer un travail qui ne se conçoit pas sans un réseau de sociétés incessamment occupées à élaborer, par des discussions et des correspondances, les arrêts du « Souverain ». Dès lors, ce souverain n'est qu'une fiction légale, bonne à toutes les tyrannies, ou, pour exister par lui-même, il a besoin d'une armature sociale qui lui donne cohésion, conscience et verbe. Mais est-il sûr que le peuple, ainsi organisé, reste lui-même ? Le fait de prendre voix suppose qu'il s'organise mais peut-il s'organiser sans se soumettre par là même à un entraînement, à un triage, à une orientation, fatale et imprévue ? Pour l’intellectuel qui n'est ni théoricien ni adepte, la réponse ne vaut pas car le moindre regard lui montre la démocratie et le peuple, la libre-pensée et l'opinion, l'organe et l'être, en perpétuel conflit ; soit qu'il songe à l'expérience intellectuelle avec son « centre » initié si réduit ou à l'expérience politique des partis organisés en « blocs » ou en    « machines », avec leur état-major de « tireurs de ficelles » et leur « bétail à voter », ou encore à l'expérience sociale du « terrorisme populiste », avec ses comités et ses troupeaux d'adhérents passifs. S'il s'agit de son intelligence, le peuple devra subir l'impulsion secrète de maîtres qu'il ignore et de politiciens qu'il méprise. Aussi bien est-ce possible aujourd'hui de maudire les tyrans qui érigent en dogme leur sens propre, en bien public leur ambition personnelle, ou exalter l'élite consciente, vertueuse, qui sait élever cet intérêt particulier au niveau du général, et assurer en elle-même par raison, et autour d'elle par force, la victoire de la volonté citoyenne sur l'égoïsme politique ? Faut-il prendre les circonstances comme l'effet des principes, ou l'excuse des procédés ? Autant de jugements de valeur, de procès de tendance qui n'ajoutent rien à l'exposé matériel des faits, et ne sont pas de notre ressort. Nous n'avons pas plus à louer qu'à maudire les contraintes politiques : il nous suffit de la constater. La tâche est aujourd'hui bien déterminée, sinon facile car ces paradoxes réalisés, longtemps niés ou dissimulés, se produisent enfin au grand jour. Ils ont un état civil en règle ; noms consacrés, d'abord : libre-pensée, individualisme, tolérance. Ils ont même leurs patrons qui sont placés sous l'invocation de trois entités de sens équivoque et d'origine récente, malgré leurs noms antiques : la Vérité, la Liberté, la Justice et la Dignité. 

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