Le «
printemps arabe » inauguré par la déroute du dictateur tunisien, chassé le 14
janvier 2011 au terme de vingt-trois années de pouvoir, a fait très inopinément
entrevoir la fin d’un long hiver autoritariste arabe. Directement en Égypte, en
Libye et au Yémen, mais également par réaction ou par anticipation, au Bahreïn,
au Maroc et en Syrie notamment, la vague de contestation affecte la plus part
des régimes de la région. Une telle sortie de l’autoritarisme avait été souvent
entre aperçue, régulièrement annoncée, mais autant de fois différée. En
Occident, l’image d’un monde arabe passif et culturellement inconciliable avec
les aspirations démocratiques du reste de la planète est d’ores et déjà
profondément transformée. Au début 2011, la Tunisie puis l’Égypte ont connu
d’abord un épisode de mobilisation protestataire où la pression populaire a poussé
le titulaire du pouvoir à quitter « son trône ». Dans les deux cas, le
processus n’a été mené à son terme que parce que l’armée a considéré, sans
nécessairement être acquise à l’agenda des protestataires, qu’elle n’avait plus
rien à gagner à défendre un leader trop
unanimement discrédité. Cet épisode libératoire a ouvert la porte à un
changement politique dont l’ampleur ne sera toutefois perceptible qu’au terme
des deux étapes suivantes, dont le destin n’était pas encore scellé à l’été
2011. Cet épisode fondateur, symbolisé dans le cas égyptien par la dénomination
de la place cairote (Tahrir), a
toutefois laissé à tous les niveaux de l’État un personnel politique intimement
lié au régime dont seul le titulaire suprême a été déchu. Entre la
contre-révolution et la soumission au catalogue entier des revendications de la
rue, les anciens politiciens se trouvent en situation de prendre la mesure de leur marge d’action,
de déterminer l’étendue des concessions qu’ils doivent faire aux
protestataires, aux idées et aux énergies qu’ils ont libérées, sauf à voir la
rue se remobiliser en exigeant cette fois leur complète éviction. L’heure est à
des réformes de structure sur le terrain de l’ingénierie constitutionnelle et
électorale, puisqu’ils sont contraints de préparer les conditions d’une
possible redistribution, fut-elle à leur détriment, des cartes politiques. Dans
un troisième temps, à partir de l’été 2011, des « enchères électorales »
devaient redistribuer leur pouvoir passé et ils se promettaient de tout faire
pour l’y récupérer, directement ou s’ils étaient, comme en Tunisie, interdit de
candidature, par alliés interposés, dès les premiers scrutins. Entre-temps,
avec leurs alliances, ils devaient rénover les instruments de leur
communication et s’efforcer de survivre à l’éviction de leur chef. Cette
période n’était pas à l’abri d’interférences extérieures. Cette période de
redistribution des cartes était logiquement propice à des provocations et à des
manipulations, notamment de la part des anciens titulaires du pouvoir désireux
de crédibiliser la rhétorique du « après nous le chaos » et d’agiter, pour ce
faire, le spectre du désordre économique ou de l’intolérance, confessionnelle
ou ethnique. L’enquête sur l’attentat du 31 décembre 2010 contre une église
copte d’Alexandrie, qui a fait vingt-trois morts et une centaine de blessés, a
pointé d’autres coupables que les « intégristes musulmans », à rechercher plutôt
du côté de l’ancien ministère de l’Intérieur. Dans un tout autre registre, en
Tunisie, les empoignades autour de la fixation de la date des prochaines élections
n’ont pas été exemptes de manœuvre des divers acteurs, bien loin de la
transparence recherchée. Néanmoins, la
seule manière de faire avancer le « printemps arabe » consiste à s’opposer
à la fois à la position hypocrite et à la répression. Les jeunes révolutionnaires
ont besoin de soutien. La lutte actuelle est d’ordre socio-politique, intellectuel
et civique. Il s’agit d’une lutte continue qui exigera la vigilance afin de
réaliser les objectifs de la révolution.
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