Le printemps arabe a commencé le traitement d’une
des questions les plus délicates et les plus controversées de la pensée arabe
contemporaine à savoir la relation entre religion et politique. Cette
thématique pourrait laisser entendre que le mouvement révolutionnaire pense
la politique à partir de la tradition, par exemple sous la forme du transfert
de concepts théologiques vers le fait politique ou de la nationalisation, voire
de la naturalisation, d’une doctrine religieuse. Tel n'est évidemment pas
le cas parce qu'une telle équation serait irréalise. En revanche, les deux
exemples tunisien et égyptien entretiennent une discussion permanente avec la religion
en tant qu’elle s’immisce dans la vie politique à travers le patrimoine
historique des deux pays mais il semble approprié de noter que le fait
religieux été totalement absent au début du mouvement révolutionnaire car les événements
de mobilisations citoyenne étaient essentiellement d’ordre sociopolitique en
Tunisie comme en Egypte. Par la suite, on assiste, petite à petit, à la
réapparition d’un discours politique de type historico-religieux qui devint
omniprésent dans le nouveau contexte transitionnel. Les récents affrontements
en Egypte et la crise politique en Tunisie sont des événements qui nous
rappellent toutes les difficultés de la cohabitation des idéologies différentes
dans le même espace politique. Néanmoins, le fait révolutionnaire nous parle
d’un processus consensuel par lequel on reconnait aux citoyens leurs dignités,
leurs libertés et leurs droits inaliénables, y compris la liberté religieuse.
Donc, est ce qu’il est possible que la démocratie cohabite avec des principes,
des valeurs et des pratiques religieuses qui imposent des limites à la liberté
des citoyens ? Et quelle est l’autorité qui impose ces limites ? En plus, y
a-t-il une réelle limite à la liberté dans un système démocratique ? Le cas
tunisien est un cas particulièrement pertinent pour chercher de donner des
réponses à ces questions. On utilisant la lexicométrie, on peut procéder par
comptage de mots à faire ressortir les spécificités du vocabulaire employé par
les acteurs politiques. Issue de la théorie du langage, cette méthode
ambitionne plutôt de comprendre la façon dont se construit le sens des
discours. Elle offre à cet égard toute une batterie d’instruments pour en
dégager les logiques propres. Maintenant, si on écoute les discours des
politiciens, il est facile d’identifier des références à la tradition. Au-delà
des expressions très communes comme la « Basmala » avant de commencer une allocution politique, on peut
dire que les discours officiels sont plein de références religieuses qui sont
part de la culture tunisienne et qui ne font pas allusion seulement à une
interprétation religieuse, mais aussi à une culture et une éthique nationale : c’est
ce qu’on peut définir comme « la
nouvelle idéologie civile ». Cette idéologie est un instrument
de cohésion sociale, et ses dogmes doivent être simples, en petit nombre,
énoncés avec précision, sans explications ni commentaires.
Pendant ces deux dernières années, des spécialistes
de grande envergure ont souligné que la religion est devenue un motif
central dans la définition de la vie politique arabe postrévolutionnaire.
Beaucoup d’analystes ont saisi la transformation
culturelle de la société arabe, dans lesquelles l’élection du président Morsi
fut le résultat d’un processus qui se développe selon une logique qui rassemble
deux vecteurs : elle est au même temps mimétique
parce que ses structures porteuses dérivent d’une mentalité classique, et syncrétique puisque, dans l'absence
d'organes impliqués dans la préservation dogmatique, elle met en branle des
mécanismes de métissage et de réinvention de la tradition, en fonction de la
construction d’une identité collective. Les critiques ont été nombreuses.
Néanmoins, il ne faut pas croire qu’on puisse définir la dimension religieuse
de la politique par l’absence d’institutionnalisations mais ce que beaucoup ne
semble pas saisir, c’est que la religion civile est une conditio sine qua
non de l’être arabe, parce qu’elle est l’un des fruits du processus
historique, en aucune façon en contradiction avec la sphère politique, culturelle,
morale et civique. Mais quel est la nature du rapport entre tradition et modernité dans le système politique du monde arabe postrévolutionnaire ?
Et encore une fois, quelle est la relation entre le religieux et l'action politique?
Nous voici plongés par la force des choses dans l’épaisseur de trois ans
d’expérience révolutionnaire, par quoi on appréhende la formation d’une
nouvelle culture politique. L’islamisme politique, sous sa forme actuelle,
s’affirme plutôt comme un mouvement revendicatif face à un rationalisme qui
allait, à leurs yeux trop loin. La grande question maintenant est de savoir
comment peut-on formuler une nouvelle « équation » démocratique qui
respecte la différence dans des sociétés fortement marqué par le fait
religieux.
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