Dans la Tunisie postrévolutionnaire,
nous passionnons aujourd’hui de plus en plus pour des nouvelles formes artistiques
comme les musiques bruitistes ou les arts de masse, au point de les préférer à
toute autre forme d’expression artistique. Et cette préférence, nous le savons
bien, n’est pas passagère comme une mode mais elle répond à un besoin de
rajeunissement, elle est le signe éclatant d’une « révolution » de la
sensibilité chez les nouvelles générations. Il s’ensuit que nous ne sentons pas
les formes classiques comme on le sentait il y a trois ans. D’où vient, en
effet, que certains d’entre nous préfèrent au chef-d’œuvre consacré, classé
comme un modèle parfait, un album de Rap ou de Mizwid, un one man show ou un graffiti.
Ce n’est pas seulement parce que les chefs-œuvres classiques souffrent d’avoir
été copiés, recopiés, imités et parodiés, la raison profonde est que ce qui
nous touche dans une œuvre d’art ce n’est pas sa perfection, puisque nous ne
croyons plus qu’il ait en art des règles absolues, c’est un accord imprévu des
lignes ou de couleurs, révélateur d’une vision plus fraîche, d’une sensibilité
plus vibrante que la nôtre ; c’est une inflexion de la forme qui pénètre
en nous directement et donne le branle à nos puissances de rêve. Il est évident
qu’un tel contact sensoriel devrait être à la base de tout jugement esthétique,
puisque seul il permet d’éprouver vraiment le style d’un objet ou d’un être, de
distinguer la mort du vivant ; et qui ne l’éprouve pas n’a que faire de
s’occuper d’art. Mais la sensation, si libérée qu’elle soit des préjugées
académiques et du sentimentalisme littéraire, se trouve liée nécessairement à
un acte intellectuel. Or, notre jugement esthétique postrévolutionnaire, soumis
au rythme rapide, ample et brutal de la Tunisie nouvelle, ne manque certes ni
d’acuité ni même de subtilité ; mais il se satisfait, par entraînement et
par nécessité, de synthèses hâtives, de visions fulgurantes, il va droit aux
rapports simples, aux harmonies géométriques immédiatement perceptibles par
quoi se justifie la prédilection de l’art révolutionnaire pour les tons purs
juxtaposés, et les structures rigides. Suffit-il, pour entrer dans le concret
des formes classiques, de ce sensualisme et de cet intellectualisme à la fois
raffinés et violents ? On en peut
douter ? L’art classique continue et continuera de proposer des
suggestions plastiques aux artistes, aux intellectuels et des sujets de
réflexions pour les historiens, les sociologues et les anthropologues ; mais
peut-être ne sera-t-il, peut-être n’est-il déjà plus profondément senti et
vraiment compris !
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