La bataille du « roman national »,
est-elle de retour ? La réponse est oui et elle a déjà commencé. Peut-être
même elle n’a jamais cessé, mais elle n’a jamais été aussi virulente qu’aujourd’hui.
Chacun en connaît plus ou moins les enjeux : il s’agit de savoir si le « roman
national », avec ses figures édifiantes et structurantes que sont Élissa-Didon,
Hannibal, Ibn Khaldoun, Kheireddine Pacha, Bourguiba..., est encore
transmissible dans une société en mouvement ? Peut-on encore écrire une histoire
nationale à l’heure de la mondialisation ? À l’évidence oui, et c’est sans
doute devenu une urgente obligation politique. Mais la manière d’aborder cette
histoire ne peut plus être identique à ce que nous faisions auparavant. Les historiens ne sont pas là pour reproduire les récits du
passé, comme si aucune recherche ni réflexion méthodologique n’avait eu lieu
depuis dès décennies. Leur métier est d’écrire l’histoire, donc de la réécrire,
et non de la réciter. Les différentes « Histoire de la Tunisie » qui sont parues depuis les années
1960 sont en effet des tentatives de réponse à cette interrogation. Une façon pour ce
collectif d’historiens de se ressaisir de ce débat à travers
la recherche d’une mise en récit plurivoque, diverse et dépaysante, de
l’Histoire de la Tunisie. Car si le genre « Histoire
de la Tunisie » a pu être investi récemment par quelques publications de vulgarisations,
c’est aussi parce qu’il avait été relativement délaissé par l’histoire savante,
ou à tout le moins délégitimé comme enjeu épistémologique de l’écriture de
l’histoire. Ce geste éditorial est à la fois un mode d’intervention des
historiens dans l’espace public, une modeste contribution aux débats sur le sens de la citoyenneté mais aussi une
tentative d’illustration de l’apport de l’histoire à la vie intellectuelle. Il
s’agit donc à la fois de faire œuvre publique et de réfléchir aux liens entre
les historiens et l'Agora. En ce sens, elle est une défense et illustration
d’une histoire considérée comme discours engagé et citoyen surtout que les
années passées ont été marquée par une longue série de polémiques sur l’histoire
de la Tunisie constamment instrumentalisée dans les débats politiques et les
des campagnes électorales. Les épisodes qui ont rythmé ces polémiques sont trop
connus pour que l’on y revienne en détail : Des débats autour du sens philosophique de l’identité
nationale aux polémiques sur
les programmes scolaires dans la réforme voulue par Néji Jalloul, en passant
par le projet du Ministère de la Culture de tout inscrire sur la liste du
Patrimoine Mondiale de l’UNESCO, les défenseurs autoproclamés de l’Histoire de Tunisie
n’ont cessé de faire comme si les Historiens, les scientifiques, avaient
abandonné leur objet d’études, contribué au délitement social et accéléré la
dissolution de la fierté nationale. Dans un contexte d’incertitude et de tensions
politiques, l’Histoire est mis au banc des accusés. En s’ouvrant à un vaste public, à de nouvelles thématiques et de nouvelles problématiques, aussi bien la
recherche que les programmes scolaires auraient sacrifié la Nation sur l’autel
de l’Histoire en mouvement, précipitant la crise identitaire et le déclin de la Tunisie.
Les critiques faites aux décideurs, maintes fois répétées
par les scientifiques, c’est-à-dire par les Historiens académiciens, reprennent
la vision-monde de l’École des Annales
qui essaie d’englober la vision nationaliste de l’Histoire dans une démarche
historiographique plus générale, celle liée à la construction de l’État par le
haut. La réponse politicienne paraît, dès lors, simple : seul un retour au « roman national
», tel qu’enseigné dans les années 1960 permettrait de restaurer le sens profond de la Nation,
de défendre le projet progressiste et de réduire au silence les extrémistes ! Il
s’agirait ainsi de faire comme si l’Histoire n’était pas une science humaine, comme
si elle ne s’était pas enrichie et complexifiée au fil du temps, dans le
dialogue avec les autres sciences sociales et la prise en compte d’autres
espaces et d’autres temporalités. Là encore, il n’est sans doute guère utile de
s’étendre plus avant sur l’inanité d’une vision qui consisterait à répliquer
sans fin le « roman national » qui avait certes sa légitimité et son utilité,
mais ne correspond plus à l’état de la recherche et aux attentes de la
population tunisienne.
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