mercredi 24 juin 2015

Quand le monde arabe a basculé




La paix des dictatures arabes a été sérieusement perturbée à partir de la fin de 2010 par une montée de la contestation populaire. Cette contestation usa, pour faire entendre, de toutes les formes traditionnelles ou inédites du rejet populaire de l’autorité. Certes, la multiplication et la généralisation de ces façons inhabituelles de s’emparer de la scène politique, qui s’articulaient sur des raisons conjoncturelles pour mettre la société arabe en mouvement, font de cette période un « temps de métamorphose »  plus au moins durable et profond. Ou, au contraire, un mouvement de l’irruption d’une colère, sûrement, inattendue par les pouvoirs en place, mais qui extériorisait en réalité une frustration longtemps ingurgitée et contenue par les victimes de violences multiformes orchestrées et développées sur la longue durée par les différents dictateurs de la région qui, du jour au lendemain, ont était obligé de passer à l’offensive pour protéger leurs trônes, de la sorte que les premiers coups contre les « outsiders » ont réalisé l’impensable. La chute du régime en Tunisie a fait démontrer que les peuples arabes, mains nues, pouvaient dicter leurs lois et faire valoir démocratiquement leurs choix.  Ainsi, l’inscription de ces années révolutionnaires, dans l’ordinaire et l’imaginaire des sociétés arabes, comme « période de désordre » ou au contraire comme « période de renaissance de la vitalité populaire » indique que, par delà toute querelle scientifique ou idéologique, l’année 2011 est le point géométrique par lequel doit transiter toute analyse de la mémoire et de la situation politique dans le monde arabe actuel. Comme repère, l’année 2011 est plus que pertinent pour le cas de l’analyse de la « transition démocratique » dans quelques pays du « printemps arabe » puisqu’elle est un moment décisif dans la géopolitique régionale et internationale, pour l’ensemble des bouleversements politiques, socioéconomiques et idéologiques survenus dans les environs de cette années charnière.  Cette année a été retenue par les spécialistes comme « année zéro » pour l’ensemble des attentes dont elle est enceinte au niveau de la demande populaire en liberté publiques et privées et pour son importance dans l’évolution des comportements politiques et les bouleversements qu’elle imposa dans l’imagination collective.
Spontanée ou réfléchie, la conscience populaire voulait d’abord en finir avec l’ordre totalitaire.  On voulait le changement d’un système qui n’a drainé qu’un cortège de malheurs : lois liberticides, propagande, démagogie, et crise économique grave qui contraint les populations à la misère quotidienne. Il n’y avait pas de grâce pour les régimes en place aux yeux des populations qui faisaient irruption sur la scène politique. Bien avant 2011, le monde arabe présentait déjà une situation révolutionnaire. Mais l'esprit révolutionnaire n'avait pas encore suffisamment mûri pour que la Révolution éclatât. C'est donc sur le développement de cet esprit d'insubordination, d'audace, et de dégoût contre l'ordre social, que se dirigèrent les  premiers efforts des révolutionnaires. Les peuples arabes découvrent, alors, qu’ils ont leur mot à dire et que leur opinion, qui était jusque-là récusée, peut désormais être exprimée, entendue et même influer sur leur propre quotidien. Dans les cafés, dans les villes et même dans les villages les plus reculées,  on a cessé de commenter le football pour parler de la chose publique. Aujourd’hui, les arabes continuent d’étonner, de choquer et, parfois, d’inquiéter puisque l’inconnue de l’issue révolutionnaire demeure entière. Parviendrons-ils à créer de nouvelles sociétés ouvertes et tolérantes ? La pluralité politique et culturelle triomphera-t-elle dans une société qui se caractérise par la marginalisation des minorités ?  Les questions ne manquent pas mais les réponses sont difficiles à trouver !