mercredi 30 mars 2016

L’échec scolaire comme « problème républicain »





L’échec à l’école est un phénomène ancien en Tunisie. Il constitue un symptôme, celui d’une mal-adaptation. Mal-adaptation de l’élève, en apparence peut-être, mais surtout mal-adaptation de l’école, face à son rôle premier d’éducation. Mal-adaptation également face à ce double idéal que l’école elle-même, l’école républicaine, a promulgué haut et fort : égalité et respect. Or, qu’a-t-on fait de l’école sinon un outil au service de la sélection et de la discrimination, souvent davantage qu’un outil au service de l’éducation ? Non pas que la sélection et de la discrimination soient nouvelles : la société s’était patiemment forgée des institutions et des instruments culturels servant de garde-fous imperméable entre les classes sociales. Mais les processus de production modernes qui exigent, au contraire, une relative porosité entre les couches de la société, ont fait jour au besoin de nouveaux outils de régulation, plus subtils. On a ainsi substitué le rendement intellectuel au privilège de naissance.  Mais alors, dira-t-on, l’échec scolaire n’est-il pas simplement la contrepartie, le prix à payer d’une évolution par ailleurs positive : son existence même ne signifie-t-elle pas que d’aucuns peuvent désormais prétendre à une réussite-encore que souvent improbable, dont l’accès eût été illusoire auparavant ? Dans ce cas, il ne faudrait plus parler de mal-adaptation ; l’école au contraire devrait être comprise comme un milieu, une institution privilégiée dans laquelle se révéleraient, démocratiquement, les individus les mieux adaptés aux exigences de la société.
Notre conviction pourtant est que l’échec scolaire constitue bien un échec flagrant de l’école, ne serait-ce que parce que son prix est exorbitant. Même dans une perspective de « sélection naturelle », on ne saurait justifier ses coûts en regard des éventuels bénéfices pour la survie du système. Coût psychologique, coût social d’une enfance en prise au désespoir, coût économique et institutionnel. Il s’agit bien là de mal-adaptation.
Certes, on peut expliquer l’échec scolaire seulement on se basant sur la description des données que nous possédons mais les causes réelles de l’échec scolaire ne peuvent être expliquées qu’au prix d’une démarche interdisciplinaire. Une bonne dose de courage est sans doute nécessaire, aujourd’hui, pour oser aborder du point de vue multidisciplinaire le problème de l’échec scolaire en Tunisie pour pouvoir le traiter selon des perspectives diamétralement opposées surtout que les savoirs scolaires font partie du domaine culturel.

mercredi 9 mars 2016

Religion et Modernité : Ancien débat, nouveau défis






Depuis la « révolution foucaldienne », nous sommes persuadés qu’à l’intérieur de toute tradition religieuse, les éléments de continuité tiennent aux formes, aux institutions plus qu’aux doctrines. Les mots sont ainsi des vases vides dans lesquels les générations successives de croyants versent le vin de leurs convictions. Il est reconnu qu’il existe des traditions culturelles identifiables et que chacune d’entre elles a connu des modifications politiques, sociales et comportementales importantes en son sein. Nous vivons avec le changement et nous admettons que tout ce qui vit change…à une seule exception près : la religion. Si la tradition religieuse d’une culture est morte, comme c’est le cas de la religion Gréco-romaine, nous convenons de sa nature organique, mais si elle a survécu, nous avons tendance à la considérer comme une constante culturelle. C’est pratiquement vrai dans la région arabe où les trois monothéismes fondent leur autorité sur la base de la révélation et s’appuient sur une écriture qui impose des formes de culte, de pensée et de langage à la communauté. Les croyants oublient que s’ils lisent un de ces textes anciens et se sentent liés par ses prescriptions, ils projettent inévitablement dans celui-ci leurs sentiments ainsi que leurs besoins et modèlent ses préceptes selon les notions du bien qui prévalent à leur époque. Les traditions religieuses témoignent du même processus d’adaptation dynamique et de changement organique que les autres éléments de la culture dont ils font partie. Ainsi, la tendance à nier le changement procède d’une nécessité fondamentale : être rassuré. La vie est courte. Nos expériences sont déroutantes. Une grande partie de ce qui constitue la religion satisfait au besoin humain de créer une impression d’ordre et de stabilité au milieu du flux. Si nous n’en sommes pas conscients sur le moment, les preuves de sa puissance sont tout autour de nous. Le monde arabe est plein de femmes et d’hommes terrorisés par le changement au point qu’ils ont fait une politique de ce besoin de stabilité, s’efforçant de contraindre les écoles à promouvoir et à justifier leur conviction que la Tradition à prendre au pied de la lettre. Ces aspirations passionnelles sont compréhensibles, mais il serait désastreux pour notre société qu’elle s’y abandonnât.