jeudi 30 mai 2013

Le fait révolutionnaire et la mémoire





On n’est pas encore habitué à parler de la mémoire collective du fait révolutionnaire, même par métaphore. Il semble qu’une telle faculté ne puisse exister et durer que dans la mesure où elle est liée à un corps ou à un cerveau individuel. Admettons cependant qu’il y ait, pour les souvenirs, deux manières de s’organiser et qu’ils puissent tantôt se grouper autour d’une personne définie, qui les envisage de son point de vue, et tantôt se distribuer à l’intérieur d’une société grande ou petite, dont ils sont autant d’images partielles. Il y aurait donc des mémoires individuelles et des mémoires collectives. En d’autres termes, l’individu participerait à deux sortes de mémoires ; mais, suivant qu’il participe à l’une ou à l’autre, il adopterait deux attitudes très différentes et même contradictoire. D’une part, c’est dans le cadre de sa personnalité, ou de sa vie personnelle, que viendraient prendre place ses souvenirs : ceux-là mêmes qui lui sont communs avec d’autres ne seraient envisagés par lui que sous l’aspect qui l’intéresse en tant qu’il se distingue d’eux. D’autre part, il serait capable à certains moments de se comporter simplement comme le membre d’un groupe qui contribue à évoquer et entretenir des souvenirs impersonnels, dans la mesure où ceux-ci intéressent la collectivité. C’est pourquoi nous proposons d'étudier l'utilisation du concept de tradition en rapport avec la construction d'une mémoire collective dans les champs littéraire, folklorique et ethnologique dans la Tunisie postrévolutionnaire. Nous parlons de construction et de mémoire collective. Les choix du site, du plan, des matériaux, du parti d'aménagement et d'agencement se font selon des besoins d'ordre pragmatique et symbolique. Dans l'ordre de la mémoire d'un individu, le récit de vie qui en rend compte est une construction, donc un choix, qui répond au besoin de représentation de soi. Rhétorique, il vise à persuader le destinataire que la vie du « sujet qui se raconte » a un sens, positif ou négatif. Du magma intérieur où sont enfouis souvenirs, impressions, sensations et paroles, le « sujet qui se raconte » tire les éléments dont il fera un récit, suite de transformations narratives, véritable programme narratif qui rend compte du parcours où le sujet fit l'apprentissage de ses rôles. Les contextes d'énonciation transformeront ce programme en mettant en évidence certaines séquences et en occultant les autres. L'identité du « sujet qui se raconte » est donc une présentation hiérarchisée des matériaux laissés dans la mémoire par les expériences de socialisation, tissu narratif fait de la chaîne du « moi- nous » et de la trame de « l'autre-eux ». Le « sujet qui se raconte » met aussi en scène les autres qui, tout au long de sa vie, lui ont fait prendre conscience de ce qui le distinguait. Lorsque le sujet parle, ce sont les autres en lui qui parlent ou le font parler. L'adulte qui, par tout son comportement, dit sa douleur s'adresse en réalité à ceux et celles qui lui ont autrefois fait violence. En l'écoutant, nous n'entendons souvent qu'un sourd écho de cataclysmes passés. Construire dans le champ de la mémoire est un choix, parfois conscient, le plus souvent inconscient. Le champ de la mémoire collective est-il différent? Quel est donc « le sujet qui parle » au nom de tous ? Au niveau des groupes d'appartenance, la mémoire microcollective est partagée par tous et donne forme aux pratiques culturelles coutumières, pragmatiques, symboliques et esthétiques dans lesquelles les membres se reconnaissent et expriment leur identité. La mémoire microcollective est donc inscrite dans les savoirs, les savoir-vivre et les savoir-faire et s'exprime dans les gestes de la vie quotidienne. Au niveau macrocollectif, en Tunisie postrévolutionnaire, comme en Egypte, au Yémen ou encore en Libye, et suivant les situations historiques, la tradition a servi de fondement identitaire et a joué un rôle non négligeable dans la construction d'une mémoire collective par des instances institutionnelles.

lundi 27 mai 2013

Tous contre le terrorisme et la violence politique





L’espace du printemps arabe n’en finit pas d’être traumatisé par la résurgence systématique de violence de toutes sortes qui elles-mêmes engendrent une terrible dynamique de la haine. La Syrie tout particulièrement s’enfonce chaque jour d’avantage dans une spirale suicidaire dont personne ne voit la fin malgré les appels au retour, à la paix civile qui se multiplient.  La Libye s’enlise : Deux ans après la révolution, le pays est aujourd’hui coupé en cinq zones (Misrata, Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, la Zone du Sud avec les Toubous), les milices constituées par des éléments tribaux disposent chacune de leur propre armée dans les quatre premières zones. À cela il faut ajouter de nombreux conflits tribaux. Ainsi que des populations en déshérence. De violents affrontements ont eu lieu, depuis la chute du régime Moubarak, entre coptes et musulmans. Le bilan est une dizaine de morts et plus d’une cinquantaine de blessés. La Tunisie a basculé, elle aussi, dans le vertige de la violence depuis l’assassinat du leader de l’opposition Chokri Belaïd. C’est pourquoi, il nous a paru utile d’ouvrir quelques pistes de réflexions dans un dossier consacré aux terrorismes et à la violence politique.  Comme la notion de terrorisme est extrêmement ambiguë, nous proposons ici quelques points de repères.
La première difficulté d’approche du terrorisme tient à son introuvable définition. Le terme se trouvant à l’interface des sciences sociales et politique, il est pratiquement impossible d’arrêter une définition qui soit à la fois pertinente et opérationnelle dès lors que cette appellation renvoie toujours à des connotations très négatives que les acteurs politiques peuvent utiliser pour disqualifier l’autre. D’une certaine manière, on peut toujours devenir le terroriste de quelqu’un ; c’est, en effet, un truisme de rappeler que, dans certaines configurations politiques ou militaires, tel acteur sera terroriste pour les uns et héros ou résistant pour les autres. Comme cette qualification est un moyen de disqualification, elle devient une arme politique redoutable : l’adversaire traité de « terroriste » n’a plus droit à la moindre considération ; il est ravalé à un niveau infrapolitique d’où sont exclues toutes les règles du jeu politique.  Avec un terroriste, il n’est pas question de discussion, de négociation ou a fortoriori de compromis car cela signifierait une reconnaissance de nature politique qui est, par définition, exclue dans une scène politique démocratique et plurielle.

samedi 4 mai 2013

L'imposture et la lumière de l'espoir








Deux ans après le « printemps arabe », les mouvements fondamentalistes-radicales, loin de s’essouffler, continuent de se développer sur des terrains traditionnels ou d’autres plus inattendus, que l’on relève en Libye, en Égypte ou encore en Tunisie. Cependant, analystes et experts sont souvent réduits à des études au cas par cas sans pouvoir tirer de conclusions globales, tant le sujet apparaît se fondre en creux dans un contexte sociale ou politique à chaque fois différent. Les expériences hétérogènes que nous avons pu observer durant ces deux dernières années nous amène à analyser les causes de cette autolégitimation. En effet, les échecs des modèles de développement imposés dans le monde arabe et la faillite des pouvoirs personnels, autoritaires et oligarchiques qui ont généré des « dynasties » de rapaces et de corrompus incapables d’entrevoir un rapport politique à leur société ; a pour partie déclenché le phénomène du « retour au source » dans une bonne partie de la société arabe ce qui traduit une sorte de malaise socio-psychologique . À la fois contestataire, identitaire et passéiste,  l’islamisme politique attire à lui aussi bien les arrivistes et les serviteurs de l’ancien régime que les masses. Le phénomène d’islamisation de la société est adapté à chaque réalité tel un « marketing » puissant dans le vécu quotidien des personnes auxquelles il s’adresse. Le discours adopté est simple, animé par un background historico-religieux. Il est souvent antimoderniste et très répressifs à l’encontre des acquis de l’État moderne. À travers cette réalité, on peut découvrir des mouvements hiérarchiques dirigés par une sorte de « guide suprême ». Ainsi, pour consolider leur pouvoir, ces nouveaux régimes ont noué des dizaines d’alliances avec des associations de tendance religieuse qui jouent le rôle des propagandistes et de bras séculier. Néanmoins des débats internes en Tunisie et en Égypte commencent à maitre l’accent sur l’échec de cette perspective adopté par les islamistes. D’ailleurs, la notion de « l’islam politique » doit être réexaminé car il s’agit d’une notion qui nous amène à parler d’un régime théocratique plutôt que démocratique. Cette dernière notion signifie « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » selon la fameuse expression d’Abraham Lincoln. Cette définition nous amène à parler de la démocratie directe où le pouvoir est exercé directement par les citoyens, sans l'intermédiaire d'organes représentatifs tel que les « Cheikhs !». Ainsi, l'idée de démocratie directe doit se rapporter à différentes conceptions de l'exercice direct de la souveraineté par le peuple. Si aujourd'hui le terme de démocratie renvoie généralement à l'idée de gouvernement représentatif, il fut longtemps associé à celle de démocratie directe, notamment en référence à la démocratie athénienne où les citoyens réunis en assemblée y décidaient des lois, les magistrats aux fonctions administratives et exécutives étaient tirés au sort, et les magistrats dont la fonction nécessitait une expertise étaient élus et révocables par les citoyens. Cette description du fond philosophique de la démocratie nous pousse à poser les questions suivantes : Sommes-nous en train d’assister, à des révolutions politiques inachevées de pair avec une régression économique ? Les pays arabes impliqués finiront-ils par être des démocraties réelles ? À la lumière de ces vrais défis, qui exigent de vraies actions, on peut noter que le temps est venu pour que les élites arabes se montrent à la hauteur des espoirs des peuples et de faire justice à leur potentiel culturel et politique.