samedi 14 mai 2022

Le pape Chénouda III : le César d'Alexandrie, le lion de Saint Marc


Cathédrale Saint-Marc du Caire (début des années 2000)

                             Pape Chénouda lors d’une messe à l’intérieur de la Cathédrale Saint-Marc du Caire. 


Nazir Gayed Raphaël, l’homme auquel il appartiendra de diriger à l’échelle nationale et internationale, et pendant près de quarante ans, les dizaines de millions d’adeptes de l’Église copte orthodoxe, est né le 3 août 1923 en Haute-Égypte, dans la province d’Assiout. Après sa formation à l’école copte de Damanhour, puis à l’American School à Benha et à l’école secondaire copte à Shoubra, il fréquenta à l’âge de dix-sept ans l’école du dimanche de l’église Saint-Antoine de Soubra. En 1943, Nazir s’inscrivit à l’université du Caire ; quatre ans plus tard, il était diplômé en histoire et en archéologie. L’année suivante fut consacrée au service militaire obligatoire. Il participa comme officier de réserve à la première guerre israélo-arabe en 1948. Il reçut ensuite du Collège de théologie les diplômes qui lui permettent d’être nommé lecteur de l’École théologique pour les moines, à Hélouan. Le 18 juin 1954, il rejoignit les moines du « monastère des Syriaques » de Wadi Natroun, où il fut chargé de la bibliothèque. Sous le nom religieux d’Abouna Antonious es-Souriani, il se distingua par son ascétisme et sa grande spiritualité. En 1959, le patriarche CyrilleVI (ou aussi Kyrillus) d’Alexandrie (1902-1971) le fit venir comme secrétaire personnel, mais le père Antonious revint quelques mois plus tard à la vie monastique, préférant de loin la vie dans la solitude. Il choisit une grotte située à quelques dix kilomètres du monastère, en bordure du Wadi el-Faragh. Cyrille VI, qui avait déjà voulu le nommer évêque à plusieurs reprises, le convoqua enfin en septembre 1962 au patriarcat du Caire. Lors de la cérémonie d’investiture, le pontife posa ses mains sur sa tête et prononça la formule sacramentelle : « Je te consacre, Chénouda, évêque pour le Collège de théologie et les Écoles de dimanche ».

Sous la direction du nouvel évêque, le séminaire de théologie vit augmenter le nombre de ses étudiants à temps plein de 100 à 207 ; dans le même temps, les autres étudiants passaient de 30 à 300. Pour la première fois, on admit des femmes, dont certaines furent même nommée lectrices. En 1969, il fut élu président de l’Association des collèges théologiques du Moyen-Orient. Évêque chargé de l’éducation, il organisa des réunions hebdomadaires qui attiraient des milliers de personnes. L’une des innovations les plus marquantes de ces réunions était l’usage de consacrer chaque début de soirée à répondre précisément aux questions posées sur des problèmes théologiques et sociaux. Profondément attaché à la vie monastique, l’évêque Chénouda n’en continua pas moins de passer la moitié de la semaine au monastère, dans la prière et la contemplation. Il représenta l’Église copte lors de nombreuses conférences œcuméniques ; la dernière à laquelle il participa en tant que tel a été, un mois avant son élection au patriarcat, la conférence Pro Oriente entre les Églises orientales orthodoxes et l’Église catholique romaine, à Vienne. À cette conférence, les participants s’accordèrent sur la formule christologique jadis mise au point par Cyrille Ier d’Alexandrie (375-444) au sujet de la « una natura Dei Verbi incarnata ». 


                                 Le pape Paul VI avec le patriarche Chénouda III (Cité du Vatican, 1973).


À la suite de son accession au siège apostolique de saint Marc, en novembre 1971, le nouveau pape d’Alexandrie et de toute l’Afrique continua de s’intéresser à l’éducation des Coptes. Grâce à ses soins attentifs, le séminaire de théologie s’agrandit et étendit ses activités. Six autres divisions furent créées en Égypte : à Alexandrie, à Tanta, à Minoufiya, à Minya, à Balyana et au monastère de la Sainte-Vierge d’el-Mouharraq. Dans la diaspora, trois séminaires furent ouverts, deux aux États-Unis et un en Australie. À l’occasion des festivités du centenaire du séminaire de théologie, le 29 novembre 1993, Chénouda III inaugura l’Institut des affaires pastorales, pour développer la formation du clergé.

Le pape Chénouda III, érudit de qualité et grand lecteur de Chénouté d’Atripé (374-466), pouvait mesurer combien historiquement la vie la vie du souverain pontife alexandrin était le premier reflet du pontificat, la première manière d’envisager l’exercice public du magistère.

Face aux problèmes croissants posés par les fondamentalistes, le pape Chénouda III répondit en dénonçant le fanatisme croissants et l’esprit de secte. Dans le même temps, le président Anouar el-Sadate (1918-1981) ainsi que plusieurs membres du Parti national démocratique égyptien multipliaient les insinuations contre le patriarche. La mésentente entre le président et le primat copte finit par atteindre un point tel qu’un décret présidentiel du 3 septembre 1981 ordonna l’exil du patriarche au monastère de Saint-Bishoï et l’emprisonnement de huit évêques et de vingt-quatre prêtres, sans compter plusieurs laïcs influents. Le président Sadate institua un Comité pontifical pour assumer les responsabilités du patriarcat. Mais le synode copte publia de son côté un décret confirmant Chénouda III dans sa position de chef d’Église copte égyptienne.

Pendant un peu plus de quarante mois, le patriarche resta confiné dans son monastère de désert. Nombreux furent les coptes loyalistes à œuvrer pour son retour d’exil, comme c’était le cas de l’ancien secrétaire générale de l’Organisation des Nations unies Butros Butros Ghali (1923-2016), alors vice-Premier ministre au gouvernement de Mamdouh Salem (1918-1988). Le 2 janvier 1985, enfin, le nouveau président égyptien Hosni Moubarak (1928-2020) révoqua le décret de son prédécesseur. 

                            Le pape Chénouda III pendant sa résidence forcée au monastère Saint-Bishoy (1981).


Accompagné de quatorze évêques, Chénouda III, quitta le monastère de Saint-Bishoï dès le 4 janvier ; plus de dix mille personnes remplissaient la cathédrale de Saint-Marc au Caire pour l’accueillir. Chénouda III déclara dans son discours prononcé à cette occasion : « Je n’ai pas d’autres résidence que vos cœurs qui sont remplis d’amour. Je n’ai jamais été séparé de vos cœurs ». Depuis la fin de cet exil, les relations avec Al-Azhar, surtout durant le mandat du grand Imam Mohammed Tantaoui (1928-2010), se sont améliorées, résultat d’efforts constants pour promouvoir un esprit de fraternité et d’unité.  

À la vielle du Noël copte de l’année 2011, les évêques et les archevêques égyptiens présents au concile réunis sous la présidence du pape égyptien, avaient pu mesurer à quel point le chef de leur Église avait changé. Il était obligé de se tenir assis quand il parlait, contrairement à l’habitude qu’il avait de s’adresser à son auditoire, debout et surtout extrêmement droit. Le 16 mars, à l’aube d’une longue, d’une très longue journée qui dura, presque sans interruption, jusqu’au lendemain soir, et au cours de laquelle aucune souffrance ne fut épargnée à l’agonisant, celui-ci déclara qu’il souhaitait recevoir la communion. On se précipita donc pour qu’il se soulève, sans pouvoir empêcher qu’il ne retombe sur ses oreillers. Ceux qui avaient conservé l’espoir de le voir du demi-coma dans lequel la maladie l’avait enfermé comprirent que le pape était en train de vivre ses dernières heures.

L’annonce de la mort du 117ème Patriarche de la prédication de Saint Marc, survenue dans la nuit du 17 mars 2012, provoqua une ruée de journalistes qui attendaient, depuis au moins vingt-quatre heures, confirmation de la nouvelle. Ce fut l’Anba Bakhoumious qui eut à charge de gérer la sucession. Des foules « en larmes » étaient massées devant les portes de la cathédrale de Marc dans le district de Abbasseya au Caire pour rendre un dernier hommage à celui qui a dit un jour « L’Égypte n’est pas un pays dans lequel nous vivons, mais un pays qui vit en nous ».


jeudi 5 novembre 2020

À la mémoire de Moncef Ouannes, le sociologue et l’universitaire

 


Les amis, collègues et anciens étudiants de Moncef Ouannes, professeur de sociologie politique à l’Université de Tunis et directeur général du Centre d’Études et de Recherche Économiques et Sociales (CERES), ont appris avec consternation la nouvelle de son décès à l’aube du 4 novembre 2020, suite au Coronavirus.

En tant que son ancien étudiant, je ne veux pas, et je ne peux pas laisser partir Moncef Ouannes sans dire d’un mot, ici, ce que nous lui devons tous. Même ceux d’entre nous qui ont labouré les domaines en apparences les plus éloignés de ceux qu’il a pendant longtemps fécondés de son labeur savent le sérieux de ses recherches académiques, son ouverture à la pluridisciplinarité et son amour des sciences humaines et sociales. Malheureusement, nous n’avons pas l’habitude, en Tunisie, de tenir la petite chronique de nos chercheurs-universitaires, vivants et morts. Mais nous avons le souci quand même de témoigner notre reconnaissance à ceux qui ont été vraiment des initiateurs et des guides. Moncef Ouannes a tenu ce rôle pendant des années, avec un dynamisme incomparable – et bien souvent, quand il le voulait, avec un éclat singulier. Il aura accompagné pendant plus de trois décennies la marche de plusieurs jeunes chercheurs.

Solidement établi dans son domaine de recherche, en plein possession des instruments de l’érudition sociologique, Moncef Ouannes nous aura enseigné de neuf, de profond et d’inédit sur le fait social. Par sa personne, son enseignement, son œuvre, ses activités, il a rayonné, au premier rang des sociologues tunisiens, de la parution de son premier livre jusqu’à sa mort.

Sa vie a été liée à plusieurs sujets sociologiques comme celui de la personnalité tunisienne, la personnalité libyenne, la société arabe contemporaine et la sociologie politique. De fait, c’était un esprit d’une grande ouverture, à l’abord facile, mettant tous ceux que sa notoriété pouvait impressionner très à l’aise, grâce en particulier à sa pédagogie qui exprimait sa méthodologie d’enseignant-universitaire. Cette ouverture d’esprit le conduisait fort logiquement à valoriser tout ce qui attestait de la capacité à innover, à inaugurer des pistes nouvelles, à défricher, à imaginer scientifiquement. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que son œuvre se caractérise notamment par cette extraordinaire capacité à chercher et à trouver du neuf. Le goût du paradoxe pouvait le conduire à être iconoclaste. Il n’en avait cure. Il était trop novateur pour se laisser convaincre de rester sur des chemins trop orthodoxes. Ses dernières recherches sur « la personnalité tunisienne » (الشخصيّة التونسيّة) ont choqué certains conservateurs, mais qui pourrait dire aujourd’hui que Moncef Ouannes n’avait pas vu juste dans sa thèse ?

De son vivant, Moncef Ouannes était, plus que jamais, engagé tout entier dans une bataille d’idées et dans un combat de réflexion sociologique sur l’avenir des sociétés maghrébines. Nationaliste arabe, il n’a jamais mélangé ses convictions politiques à son enseignement à l’Université. À ceux qui regardent la société d’en haut, avec leurs lunettes macrosociologiques, Moncef Ouannes aimait à rappeler qu’ils ne voyaient pas ce que l’on voit d’en bas, au plus proche du terrain, et à ceux qui se contentent de regarder la réalité d’en bas, il ne manquait de montrer qu’ils ne pouvaient pas voir ce que l’on voit d’en haut et qui est tout aussi réel. C’était la tension entre ces deux regards qui le passionnait. Elle traverse toute son œuvre, et si l’on veut bien y prêter toute l’attention qu’elle mérite, elle a encore de quoi instruire bien des générations de futurs chercheurs.

dimanche 13 septembre 2020

Mohamed Talbi, l'Homo Historicus

 

Mohamed Talbi avec Azedine Beschaouch à l'Académie tunisienne

La réception de l’œuvre de Mohamed Talbi, qui pense le rapport entre islam et modernité dans le prisme de l’histoire critique, reste à écrire. Outre maints articles d’histoire en français, anglais, arabe et italien, il a signé une bonne dizaine de gros ouvrages « philosophiques » au sens voltairien. Tous déplient, au plus près des sources de l’histoire intellectuel, sociale et politique. Traduits tout autour du monde, ses textes sont devenus des classiques de l’historiographie méditerranéenne. Reconstituant les grammaires culturelles des époques qu’il étudie, Talbi y analyse les représentations, les idées-images, l’outillage mental et les réalités socio-culturelles. Entre continuité et rupture, il y fabrique ses objets, notamment la Tunisie, l’histoire médiévale de l’Afrique du Nord, la modernité et l’histoire-problème. Enseignés avec générosité à des générations d’étudiants, ces thématiques illustrent le périmètre épistémologique du « jardin de l’esprit » de ce grand spécialiste d’Ibn Khaldoûn, qui souvent met garde contre la mythification du passé ancien ou récent. 

Méfiant envers l’idéalisme de la mémoire historique, Talbi évoque à travers ses travaux d’historiens les conditions subjectives de la fabrication de la connaissance historique. Si la neutralité revendiquée est équivoque car chimérique en raison du contexte socioculturel qui pèse sur les conditions de production du savoir historique, elles n’en restent pas moins ordonnées par la recherche de la vérité que vise l’historien dont la responsabilité exige qu’il énonce sa position sociale en désignant l’arbitraire de tout prémisse herméneutique. De facto, pour Mohamed Talbi, l’historien qui interprète le passé dans le prisme du présent inachevé, selon des causalités diverses, fabrique l’objet qu’il étudie, puisque son point de vue et sa méthodologie reflètent son univers mental, son milieu culturel, son origine familiale et plus largement sa position sociale. Ainsi, pour le doyen des historiens tunisiens, la connaissance historique ne peut jamais être cognitivement pure. Elle traduit le présent de sa fabrication culturelle. Elle fait écho à la conscience de celui qui fait l’historien en assumant la position politique du savant sur lequel pèsent les normes, les représentations, les questions et les cultures de son époque.

Or, l’aggiornamento relativiste n’affranchit pourtant pas, selon la méthode analytique de Mohamed Talbi, le code moral des sciences de l’Homme. Celui-ci a bien cadré tout son travail depuis la publication de sa maîtrise en 1959 et jusqu’à ses derniers essais. Dans ses recherches historiques, la responsabilité morale de l’érudit était totale. Peut-on vraiment être historien sans ajouter la dignité morale à l’effort savant ? Telle est la question éthique que soulève Mohamed Talbi en évoquant dans ses textes la responsabilité morale de l’historien. Les nouvelles générations des historiens, surtout tunisiens, ressent lourdement le poids d’une succession qui est un engagement de fidélité aux traditions de labeur et d’impartialité établies par ce grand Maître.

vendredi 15 mai 2020

Dido of Carthage Through the Eyes of Some Western Classical Artists



The History of Carthage has fired the imaginations of writers and artists since the Renaissance, because of the city’s heroic resistance to the Romans. Many tried to depict or describe episodes from Carthage’s past without any knowledge of North African’s History. The sources they consulted were firt and foremost roman texts such as Virgil’s Aeneid and Livy’s History of Rome. They also drew on biographies of the protagonists by the Greek writer Plutarch, which were widely disseminated throughout Western Europe. For many centuries, sources illuminating the Punic side of events were entirely absent.
Part of the appeal of Dido, Hannibal Barcca, Sophoniba and others who were involved in the wars between Rome and Carthage was the exoticism of these women and men, who were sometimes portrayed as dark-skinned North Africans and who were nonetheless capable of wreaking havoc among the forces of the noble Romans. Among the Carthaginian heroes, Dido occupies an important place in the Western artistic imagination. She was the mysterious queen who succeeded in detaining Aeneas at her court until the gods sent their messenger, Mercury, ordering him to return to Italy. She was clever, beautiful and alluring, as courageous as man, and she consequently possessed almost superhuman gifts. She could serve as an example to kings and queens alike, but she was also described in the sources as an immoral and perverse temptress and a suicide. Dido’s Carthage would later become the powerful opponent of Arenea’s descendants. The Queen cursed the future Rome as she burned at the stake.
Dido was seen as equal of rulers and soldiers of military fame. She built a city, fought against the surrounding tribes, and went hunting, all supposedly male activities. Aeneas broke into this happy pioneering world, and his passion seems initially to have enriched it. One of the high points in their stormy relationship which a torrential downpour and thunderstorm force them to take shelter in a cave. The two are in every respect a match of other, and in the sketch produced by many Western’s artists, like Romeyn de Hooghe (1645 – 1708), Dido wears a suit of armour over her royal robe. This is a highly atmospheric sketch, with its sarcophagi bearing imaginary inscriptions in Greek. Dido’s assistant Anna withdraws discreetly, and the heroes have laid their weapons aside.
Her counterpart, Aeneas, was generally described in glowing terms, despite his weakness in succumbing to Dido’s charms. His first meeting with Dido was sometimes depicted in cycles of painting or tapestries, such as the series made for the negotiations of the Peace of Nijmegen in 1678. The pictures were reproduced in cheap copies. Crispijn van de Passe’s series consisted of at least thirteen prints. It is clear from the caption to the anonymous classicist print dating from around 1700 that Aeneas is also depicted here as devious. He plays the gallant when the queen meets him in the harbor or in her throne room, but meanwhile he pursues his own goals. For Dido, the future has only death in store.
Aeneas’s entrance into Carthage is in itself a miraculous event. Giambattista Tiepolo (1696-1770) depicts Venus showing Aeneas and Achates the way of the city, in his sketch for a ceiling painting. She is sitting on a cloud that obscures Aeneas’s fleet. In the print by Simon Thomassin (1655-1733), two lines from Aeneid clarify the castaways, and after he has spoken, Aeneas appears to descend from the cloud. Dido’s throne is in front of some building that are under construction; on the left, a labourer is busying himself with a marble column. The 18th century fan depicts the same scene; for its erudite owner, the allusion to the storm in which Aeneas appears may have been a delightful association with the fan that cooled her brow, and that was furthermore an important instrument in lovemaking. All these scenes emphasize the contrast between Aeneas’s fiery temperament and Dido’s restraint.   
The Dutch tragedy of « Didoos doot », written in 1668 by Andries Pels (1655-1731), served in turn as a source of inspiration well into the 18th century, when the play was still being performed. In a print by Simon Fokke (1690-1775), dating from 1758, Dido in burning at the stake in front of canal house, while Aeneas is depicted as a modern burgher, complete with the long wig that was fashionable at the time. The aim was probably to ridicule Pels’s play, which was regarded as pompous. The scene included several mirror characters: a urinating figure of Amor, Dido’s wet nurse Anna in the doorway. None of the artists who produced any of these painting or prints made the slightest effort to portray Carthage or Dido as foreign. The architecture is classicist, and the characters’ dress is quasi-Roman, probably based on stage costumes.
When we look at the image of Dido through Classical Art, it is striking that she always served as example of beauty, virtue, bravery and courage.

mercredi 13 mai 2020

Tunisie : Reconstruction économique et patrimoine historique dans le contexte post-Corona




Le patrimoine historique de la Tunisie, plus que jamais, est au cœur de l’actualité et soulève débats et passions. Peu surprenant pour un secteur qui touche aux cordes sensibles de l’appartenance, de l’identité et de la mémoire collective. Il est tout autant partie prenante des grandes luttes à l’échelle mondiale pour la défense de la diversité culturelle que des revendications territoriales des citoyens sur la scène locale. Il est nécessaire, dans notre contexte de pandémie, de se questionner sur la place réelle du patrimoine dans la relance économique du pays et sur la motivation des différents acteurs qui en revendiquent la protection et la mise en valeur.
Le patrimoine historique tunisien tel qu’on l’entend ici n’a plus beaucoup à voir avec le monument historique isolé et l’objet de contemplation auxquels il faisait référence il y a quelques décennies. Il renvoie aujourd’hui à un espace culturel riche en significations historiques que les citoyens s’approprient et transforment pour façonner leur milieu de vie. Il est le territoire de référence où se jouent les enjeux du développement local et régional. Alors que l’on tente d’asseoir la revitalisation des communautés sur les forces du milieu et sur sa capacité d’innovation, le patrimoine émerge comme une ressource précieuse. Il est à la fois cadre de vie, repère identitaire et gisement économique.
L’éclatement de la notion de patrimoine et son rapprochement avec le quotidien des citoyens ont considérablement modifié la façon de l’appréhender. Il est devenu pratiquement impossible pour le ministère de la culture de protéger l’ensemble des biens et des territoires pouvant receler un intérêt patrimonial. Peu à peu, des individus, des associations puis des corporations municipales se sont intéressés à ces composantes de leur environnement pour leurs valeurs historique, touristique ou symbolique.
Depuis quelques années, l’observation des démarches de développement local met en évidence une forte mobilisation des objets patrimoniaux dans la construction des projets de territoire. Dans la lignée des parcs archéologiques qui placent le patrimoine au centre de leur démarche territoriale, quelques municipalités, telle que celle Carthage, de Haïdra ou de Dougga, intègrent dans leurs actions une dimension patrimoniale croissante. L’examen des procédures de développement local confirme ce constat. Après avoir été considéré comme un outil de conservation, puis comme un élément essentiel de constitution de la nation, le patrimoine est devenu ressource pour le développement régional. Cette nouvelle situation pose alors la question des enjeux, des formes et des logiques de cette prolifération patrimoniale au regard des dynamiques territoriales. Dans un contexte de concurrence généralisée entre les territoires, la qualité et l’innovation apparaissent comme des moteurs essentiels de la compétitivité. Associé à d’autres objets, le patrimoine leur confère des qualités spécifiques qui en font des ressources territoriales. En résulte alors une possibilité de distinction des produits sur des marchés ouverts. De même, l’innovation territoriale porte fréquemment sur de nouveaux modes d’articulation d’acteurs d’origines très diverses autour de la construction et de l’usage de ces ressources. Ainsi, en prenant part aux dynamiques territoriales, le patrimoine acquiert un statut et une force renouvelés. Il permet en retour aux territoires d’asseoir leur légitimité. Mais si les logiques en œuvre sont dominées par des processus de transmission, qui se traduisent par un travail de sélection opéré par des acteurs territorialisés, la question des intentionnalités qui conduisent à ces choix reste présente. Plus largement, cela nous renvoie à l’observation du rapport à la continuité et au changement ainsi qu’à sa gestion par les territoires. Face à ces mouvements massifs de mobilisation du patrimoine dans des projets de développement local, il nous semble donc pertinent de poser la question de l’émergence d’un modèle développement alternatif, en rupture avec un mode de développement où la productivité caractérisait la compétitivité et où l’innovation était exogène aux territoires. L’hypothèse que nous proposons repose sur l’idée que le patrimoine constitue une dimension essentielle de la ressource territoriale et que sa mobilisation traduit l’émergence d’un mode de développement territorial spécifique. Fondamentalement construit sur l’impératif de durabilité et de renouvellement de la ressource, ce mode de développement, que nous qualifierons de patrimonial, se démarque pourtant du développement durable. Ce dernier est alors pensé comme une forme intermédiaire entre le mode productiviste et le mode patrimonial que nous tentons de caractériser. Ils nous sont donc apparus comme un matériau intéressant pour appréhender la réalité de ce que peuvent être le développement régional post-Covid.
Pour tenir compte du caractère des opérations de valorisation qui peuvent être entreprises dans le contexte post-Covid, la notion de valorisation économique se réfère à des formes très diverses, marchandes ou non-marchandes, qui vont de la visite libre à l’offre de prestations de services payantes comme la restauration ou l’organisation de séminaires, en passant par la vente de produits d’inspirations patrimoniales (« Mergoum », « Klim », potières…) pour arriver aux services d’accompagnement des visiteurs (guides, interprètes, transporteurs…). Chacun donc peut constater que le patrimoine local est apte de confirmer sa vocation à être le support d’une activité économique à part entière, capable de générer des revenus et des emplois, et de contribuer à l’image et à l’attractivité de la Tunisie profonde, dans un contexte où chaque territoire, en concurrence avec l’autre, cherche à renforcer ses spécifiés propres. Les régions rurales sont largement concernées par ces démarches, à la fois parce qu’elles ont besoin de trouver des substituts à leurs activités traditionnelles en difficultés et parce qu’elles disposent d’un patrimoine important et valorisable. Les initiatives existent d’ailleurs mais elles restent encore timides et limitées dans l’espace. La consommation et la production des services issus de ce patrimoine peuvent facilement renforcer les autres initiatives industrielles et/ou agricoles. C’est pourquoi la présence d’une stratégie nationale claire et méthodique en ce domaine peut être à l’origine d’un taux de croissance à deux chiffres dans ces régions jusqu’à maintenant oubliées. Pour qu’il en soit ainsi, l’action collective, le plus souvent animée ou coordonnée par les pouvoirs publics, est indispensable pour faire converger les actions des divers acteurs vers une plus grande valorisation de ce patrimoine local. Mettre en valeur le patrimoine historique, folklorique et immatériel de la Tunisie profonde peut aussi offrir la possibilité aux PME d’en retirer des retombées ou d’y puiser les savoir-faire et les références nécessaires à l’innovation. Pour les collectivités territoriales, ça peut être une façon de donner une image positive à leur territoire et d’améliorer le cadre de vie. Ainsi tout processus de développement économique et social d’un territoire doit être fondé sur ses caractéristiques propres issues de sa nature et de son histoire et ne saurait répondre à un modèle général importé. De même, pour être un facteur de ce développement, le patrimoine doit être pleinement reconnu ainsi par sa population et non seulement identifié comme tel de l’extérieur. Mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Encore faut-il, dans un contexte de ressources rares, que l’apport attendu de sa valorisation soit jugé égal ou supérieur à celui d’autres projets économiques et sociaux. Confrontés à la concurrence de ces derniers pour leur financement, les porteurs des projets patrimoniaux doivent démontrer une valeur supérieure. Malgré ses difficultés et ses limites, le calcul économique de cette valeur joue donc un rôle essentiel. Mais, vu la diversité des situations concrètes, aucune méthode ne saurait s’imposer a priori. Seule une grille générale d’analyse peut être légitimement proposée pour servir de guide dans chaque cas particulier.

samedi 25 avril 2020

Comment peut-on assumer notre liberté ?



Nous sommes libres maintenant depuis la chute de l’Ancien Régime. Nous le sommes et nous le voulons l’être. Cette volonté citoyenne oriente le quotidien de notre société depuis quelques années. On critique souvent tel ou tel aspect de la démocratisation rapide de la vie politique, certains même critiquent la démocratie en tant que telle, mais tous les efforts du clan conservateur n’ont réussi tout au plus qu’à ralentir sa visibilité de la scène publique. Donc, nous volons être libres. Nous nous donnons à nous-même l’ordre d’être démocrates et pluralistes. Mais si cette volonté est à l’œuvre depuis quelques années, cela signifie que nous ne sommes pas encore parvenus à être vraiment libres d’esprit ! Si cette volonté, cette injonction d’être libre, ne cesse de bouleverser les conditions de la vie politique, de faire se succéder les gouvernements aux gouvernements, sans jamais parvenir à se satisfaire, sans jamais parvenir à un point où nous puissions nous reposer en disant : « voici enfin le terme de notre voyage…voici l’eldorado de la liberté », si cette volonté ou cette injonction ne se saisit jamais de son objet, qu’est-ce que cela veut dire ? Comment avons-nous pu vouloir pendant ce temps et accepter d’être si souvent déçus ? Est-ce que, peut-être, nous ne saurions pas ce que nous voulons vraiment ?
Aussi familiers que soient pour nous les signes ou les critères extérieurs de la liberté, qu’il du pluralisme partisan et associatif, du pluralisme médiatique ou de l’organisation des élections démocratiques, nous ne savons pas encore ce qui est le fond philosophique qui se cache derrière ces pratiques. Nous sommes donc sous l’empire d’une évidence qui est pourtant rebelle à l’explication. Nous sommes sous un commandement, celui des News, et nous nous demandons en quoi il consiste exactement ou finalement le fait d’être libre ! Certains sont tentés de renoncer à l’interrogation ! Ils suggèrent que nous sommes sortis de l’ère du totalitarisme pour entrer dans l’ère du post-totalitarisme. Nous aurions renoncé au rêve, à l’imagination et au grand récit ! Nous éprouvons une certaine fatigue, il est vrai, après tant de sacrifices, mais la question est intacte, et son urgence ne dépend pas des dispositions du questionneur. Il faut sans cesse continuer à rêver et surtout à poser les bonnes questions, si du moins nous avons le souci de nous comprendre nous-mêmes.  Et si nous n’avons pas la prétention de changer la réalité d’ici et maintenant, ayons du moins l’ambition de redonner vie au rêve. Mais comment procéder ?
On sait qu’il existe ce que l’on appelle une opinion collective, on a bien conscience que l’on vit en relation avec les autres et que, de ce fait, on appartient à un groupe social, mais on a tendance à croire que l’on est unique ! Pourtant, paradoxalement, lorsque l’on juge l’Autre, on le fait à travers notre univers social ou à travers le groupe auquel on pense qu’il appartient.
La question n’est pas ici de savoir si ces propos sont justifiés ou non, mais d’y percevoir quelques constantes qui circulent dans la subconscience collective de la société tunisienne : Pour une grande partie des tunisien(ne)s, c’est toujours l’Autre qui est cause des maux de notre quotidien (entendez de soi) ; cet autre est toujours catégorisé sous une dénomination globale (Occident, mécréant, traîtres…), ce qui permet d’énoncer une affirmation généralisante qui se veut vérité indiscutable ; dans tous ces cas est revendiqué en même temps un Moi qui s’oppose aux Autres, un Moi qui est la plupart du temps en situation de victime ! Cela montre que la société tunisienne postrévolutionnaire a du mal à penser rationnellement. La tendance à revendiquer les singularités, devenues parfois folkloriques (3000 ans d’Histoire, premier pays arabe à concrétiser telle ou telle acquis et à réaliser telle ou telle exploit…), est un signe de stagnation et de repli vers un passé considéré comme glorieux. On a maintenant besoin d’être cet Autre qui ne soit pas Moi, tout en protégeant ce Moi. C’est dans cette contradiction que se construit la conscience à la fois identitaire, individuelle et collective.
Mouvement radical mais également mouvement de progrès, ce rejet dans l’attirance est la condition sine qua non pour comprendre soi-même afin de comprendre ce que signifie être libre aujourd’hui. C’est ainsi que, persuadé que l’on est soi-même, on sera amené à éviter les jugements de valeur pour analyser rationnellement notre réalité et pour pouvoir évaluer la caste dite « politique » car il n’y a pas prise de conscience de sa propre existence sans perception de l’existence d’un autre qui soit différent. La perception de cette différence est nécessaire pour comprendre où sommes-nous et où irons-nous. C’est cette comparaison avec de l’Autre qui oblige les peuples à se regarder dans le miroir du quotidien pour détecter les différents points de faiblesses. Donc assumons-nous notre liberté, loin de cette pensée moyenâgeuse qui résiste encore au changement,  pour pouvoir repenser à haute voix le rêve d’un certain 14 janvier 2011. 


mercredi 22 avril 2020

Le Coronavirus et le choc de la transmission de l’information savante




Jamais l’information scientifique n’a autant animé les cercles de débats médiatiques comme nos jours, à cause de la crise sanitaire provoquée par le Coronavirus. Ces débats se cristallisent d’abord autour des de la transmission de l’information académique à un public non instruit, et d’autre part autour de la nature de la communications des chercheurs qui se trouvent obliger de sortir en public afin de confronter la pression sociale. Dès lors, tout en prenant appui sur l’enjeu de la diffusion de l’information académique, se pose plus clairement la question de la redéfinition de la sphère de la communication scientifique qui comprend désormais une audience plus large et des attentes sociétales et socio-économiques plus importantes. Les modalités de production de l’information scientifique, associées à d’autres normes de communication, se retrouvent ainsi redéfinies à l’aune des modalités de la diffusion ouverte.
Dans un monde marqué par une crise sans précédent, l’information académique devint un enjeu d’État puisque les économies nationales dépendent de plus en plus de l’application des connaissances scientifiques et techniques pour sortir de l’impasse actuelle. C’est pour cette raison que la Tunisie doit formuler, le plus vite possible, sa politique nationale de diffusion de l’information académique, puis se procurer les moyens de la mettre en œuvre. Ainsi, le recours à des médiateurs pour transmettre l’information académique d’une manière pédagogique et simple au grand public semble une des solutions pour pouvoir combattre la crise. C’est pourquoi il serait essentiel de mélanger systématiquement des questions dites de culture générale avec les questions scientifiques, afin d’attirer plus d’audience. Cette méthode peut poser un problème fondamental concernant le profil des usagers de la communication scientifique.
Il faut souligner, dans le même sens, un autre point important : si l’on souhaite vraiment atteindre un public large, la communication sociale doit être envisagée comme un jeu à somme nulle. Il est en effet évident que la capacité des citoyens à intégrer des connaissances n’est pas indéfiniment extensible, non seulement parce que l’allocation du temps de chacun repose sur des choix exclusifs, mais aussi parce que les capacités cognitives de tout individu, notamment sa mémoire, sont limitées et déjà utilisées. Une personne connaissant mal la médecine ou l’Histoire n’est pas une outre vide, qui ne demande qu’à être remplie de savoirs : elle peut être infiniment plus savante que nous en matière de musique ou de spectacle. D’où il résulte qu’il est vain d’envisager l’information scientifique comme un ensemble de connaissances à injecter en plus. Les connaissances scientifiques sont en concurrence directe avec les matchs de football, les émissions people et les recettes de cuisine, ce qui implique une nouvelle méthodologie de communication académique. On retrouve ici la relation approximative entre l’amplification sociale du message scientifique et sa dégradation par rapport à la sphère savante.  Un moyen très simple pourrait être, par exemple, de tenter de raisonner en termes de bilan cognitif global, c’est-à-dire de confronter dans tous les cas le coût épistémologique d’un message (la simplification, ou la dégradation des savoirs qu’il véhicule) à sa pertinence et sa portée sociale. Cette approche pragmatique permettrait peut-être de clarifier les problèmes qui se rencontrent à grande échelle mais aussi, sur le terrain dans les éternelles polémiques autour de la valeur sociale de l’information savante.
En effet, l’incapacité de vulgariser l’information savante constitue un problème majeur. À titre purement exploratoire, nous avons, par exemple, regardé pendant quelques jours toutes les dépêches traitant des sciences médicales publiées sur Internet par des grandes agences de presse mondiales : d’un point de vue purement académique, une grandes partie de ces travaux nous ont paru critiquables pour une raison ou pour une autre, mais d’un point de vue médiatique, il nous a semblé que le traitement de beaucoup de celles-ci était naturel dans ce cadre de crise. Le fossé entre l’analyse et la pratique de la vulgarisation est particulièrement spectaculaire lorsque l’on compare les ouvrages savants, parfois assez austères, et les manuels de conseils pratiques, dont la naïveté est le plus souvent déconcertante. Ainsi s’explique en partie le fait que de nombreuses questions liées à la sociabilité de l’information savante restent sans solution. Plusieurs zones d’ombre sont également liées au peu d’efforts publics visant à mieux coordonner et, en contrepartie, à mieux financer les recherches en la matière et à les faire connaître.