vendredi 20 juin 2014

Une révolution d'art en Tunisie ? Vraiment !



Dans la Tunisie postrévolutionnaire, nous passionnons aujourd’hui de plus en plus pour des nouvelles formes artistiques comme les musiques bruitistes ou les arts de masse, au point de les préférer à toute autre forme d’expression artistique. Et cette préférence, nous le savons bien, n’est pas passagère comme une mode mais elle répond à un besoin de rajeunissement, elle est le signe éclatant d’une « révolution » de la sensibilité chez les nouvelles générations. Il s’ensuit que nous ne sentons pas les formes classiques comme on le sentait il y a trois ans. D’où vient, en effet, que certains d’entre nous préfèrent au chef-d’œuvre consacré, classé comme un modèle parfait, un album de Rap ou de Mizwid, un one man show ou un graffiti. Ce n’est pas seulement parce que les chefs-œuvres classiques souffrent d’avoir été copiés, recopiés, imités et parodiés, la raison profonde est que ce qui nous touche dans une œuvre d’art ce n’est pas sa perfection, puisque nous ne croyons plus qu’il ait en art des règles absolues, c’est un accord imprévu des lignes ou de couleurs, révélateur d’une vision plus fraîche, d’une sensibilité plus vibrante que la nôtre ; c’est une inflexion de la forme qui pénètre en nous directement et donne le branle à nos puissances de rêve. Il est évident qu’un tel contact sensoriel devrait être à la base de tout jugement esthétique, puisque seul il permet d’éprouver vraiment le style d’un objet ou d’un être, de distinguer la mort du vivant ; et qui ne l’éprouve pas n’a que faire de s’occuper d’art. Mais la sensation, si libérée qu’elle soit des préjugées académiques et du sentimentalisme littéraire, se trouve liée nécessairement à un acte intellectuel. Or, notre jugement esthétique postrévolutionnaire, soumis au rythme rapide, ample et brutal de la Tunisie nouvelle, ne manque certes ni d’acuité ni même de subtilité ; mais il se satisfait, par entraînement et par nécessité, de synthèses hâtives, de visions fulgurantes, il va droit aux rapports simples, aux harmonies géométriques immédiatement perceptibles par quoi se justifie la prédilection de l’art révolutionnaire pour les tons purs juxtaposés, et les structures rigides. Suffit-il, pour entrer dans le concret des formes classiques, de ce sensualisme et de cet intellectualisme à la fois raffinés et violents ?  On en peut douter ? L’art classique continue et continuera de proposer des suggestions plastiques aux artistes, aux intellectuels et des sujets de réflexions pour les historiens, les sociologues et les anthropologues ; mais peut-être ne sera-t-il, peut-être n’est-il déjà plus profondément senti et vraiment compris !                      

dimanche 1 juin 2014

La Tunisie et la sémantique révolutionnaire




Les temps que nous vivons incitent aux examens de conscience. Je ne pense pas qu'il faille en abuser mais il est méritoire de s'essuyer les pieds avant de franchir le seuil du Temple, il faut tout de même, à un moment, suspendre cet exercice purificatoire, et se décider à entrer. Ainsi, notre Tunisie, notre « révolution », contestés, divisés, ne sauveront point ses valeurs et ses significations s'ils se bornent à les passer au crible de leur esprit critique, et, comme on dit volontiers aujourd'hui, à les repenser, au lieu de les vivre. Malgré tout, nous ne pouvons pas, nous citoyens, n'être pas attentifs à cette évidence qu'est la transformation de l'État, dans ses tâches et dans ses structures : l'ampleur du phénomène postrévolutionnaire, l'accélération de son rythme, nous arrachent au « confort intellectuel », privilège des temps paisibles; que nous le voulions ou non. Depuis plus de trois ans, les faits nous imposent une incessante remise en question des constructions des catégories juridiques dans lesquelles nous avons été nourris; ce n'est pas là une simple nécessité de l'intelligence, mais bien une obligation pratique; l'insertion dans le droit des formes nouvelles de l'action du pouvoir ne peut se réaliser qu'au prix d'un perpétuel réajustement de ce droit. Ce qu'on appelle en Tunisie la crise du droit n'a pas d'autre cause. Notre système de droit public a achevé de préciser ses grandes lignes à la charnière du 20ème siècle or les temps ont changé mais le système, dans ses lignes essentielles, demeure ! Comment ne pas nous demander, dès lors, dans quelle mesure il a conservé sa vertu ? Comment ne pas nous demander si, en le professant, en le défendant, nous ne nous acharnons pas à prolonger par des étais fragiles la durée d'une vieille maison déjà condamnée, à retarder un inévitable écroulement, à maquiller un cadavre ? Or, la notion de l'État de droit est au cœur du système révolutionnaire. En elle, les citoyens ont cru trouver, sur le terrain des relations entre l'exécutif et le peuple, la règle suprême de la liberté. Elle est devenue l'un des maîtres-mots de la « Tunisie des lumières ». Ces signes ont pris une valeur de slogan car l’essence de la « révolution » est faite pour le droit et la liberté; à ces abstractions, on a demandé d'échauffer l'héroïsme des révolutionnaires et des résistants au despotisme. On ne veut point d'autre témoignage de cette popularité du concept que notre « hymne révolutionnaire » qui unit, en une indissociable trilogie, « la dignité, la liberté, la démocratie». En trois mots, les révolutionnaires ont résumé toute l'idéologie de l'État de droit.  Néanmoins, face à ce pouvoir transformé, le principe de la citoyenneté reste-t-il, pour la liberté, une garantie? Le tunisien peut-il encore se fier à lui pour le garder de l'arbitraire? Telle est la double interrogation à laquelle nous allons chercher une réponse…