dimanche 1 juin 2014

La Tunisie et la sémantique révolutionnaire




Les temps que nous vivons incitent aux examens de conscience. Je ne pense pas qu'il faille en abuser mais il est méritoire de s'essuyer les pieds avant de franchir le seuil du Temple, il faut tout de même, à un moment, suspendre cet exercice purificatoire, et se décider à entrer. Ainsi, notre Tunisie, notre « révolution », contestés, divisés, ne sauveront point ses valeurs et ses significations s'ils se bornent à les passer au crible de leur esprit critique, et, comme on dit volontiers aujourd'hui, à les repenser, au lieu de les vivre. Malgré tout, nous ne pouvons pas, nous citoyens, n'être pas attentifs à cette évidence qu'est la transformation de l'État, dans ses tâches et dans ses structures : l'ampleur du phénomène postrévolutionnaire, l'accélération de son rythme, nous arrachent au « confort intellectuel », privilège des temps paisibles; que nous le voulions ou non. Depuis plus de trois ans, les faits nous imposent une incessante remise en question des constructions des catégories juridiques dans lesquelles nous avons été nourris; ce n'est pas là une simple nécessité de l'intelligence, mais bien une obligation pratique; l'insertion dans le droit des formes nouvelles de l'action du pouvoir ne peut se réaliser qu'au prix d'un perpétuel réajustement de ce droit. Ce qu'on appelle en Tunisie la crise du droit n'a pas d'autre cause. Notre système de droit public a achevé de préciser ses grandes lignes à la charnière du 20ème siècle or les temps ont changé mais le système, dans ses lignes essentielles, demeure ! Comment ne pas nous demander, dès lors, dans quelle mesure il a conservé sa vertu ? Comment ne pas nous demander si, en le professant, en le défendant, nous ne nous acharnons pas à prolonger par des étais fragiles la durée d'une vieille maison déjà condamnée, à retarder un inévitable écroulement, à maquiller un cadavre ? Or, la notion de l'État de droit est au cœur du système révolutionnaire. En elle, les citoyens ont cru trouver, sur le terrain des relations entre l'exécutif et le peuple, la règle suprême de la liberté. Elle est devenue l'un des maîtres-mots de la « Tunisie des lumières ». Ces signes ont pris une valeur de slogan car l’essence de la « révolution » est faite pour le droit et la liberté; à ces abstractions, on a demandé d'échauffer l'héroïsme des révolutionnaires et des résistants au despotisme. On ne veut point d'autre témoignage de cette popularité du concept que notre « hymne révolutionnaire » qui unit, en une indissociable trilogie, « la dignité, la liberté, la démocratie». En trois mots, les révolutionnaires ont résumé toute l'idéologie de l'État de droit.  Néanmoins, face à ce pouvoir transformé, le principe de la citoyenneté reste-t-il, pour la liberté, une garantie? Le tunisien peut-il encore se fier à lui pour le garder de l'arbitraire? Telle est la double interrogation à laquelle nous allons chercher une réponse…

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