jeudi 10 juillet 2014

L'islamisme et l'espace public dans la Tunisie postrévolutionnaire




Pour la société tunisienne postrévolutionnaire, le rapport entre religion et politique a été à la fois trop adoré et trop méprisé à la fois. Tantôt protégé par des tabous et censures, tantôt banalisé à l’extrême. La montée en puissance de l'islamisme radical en Tunisie constitue incontestablement l'un des faits marquants de ces dernières années. En raison de l'échec patent des politiques du développement, des effets néfastes de la crise matérielle et morale, des déséquilibres sociaux et politiques et du profond malaise culturel consécutifs à une modernisation forcée et mal maîtrisée, l'islam politique est devenu un redoutable levier de mobilisation et de contestation. Pour les mouvements islamistes, tel que Ennahdha ou Hizb el-Tahrir, la religion sert de support aux thèmes du repli sur l'authenticité ; elle est présentée comme le seul pivot de l'appartenance culturelle, l'unique modèle de ressourcement et d'identification et le prétexte à des discours moralisateurs ! 
Pour beaucoup de chercheurs qui s’intéressent à la Tunisie postrévolutionnaire, l'islamisme représente ainsi l'idéologie des exclus d'une modernisation imposée par le haut, mal maîtrisée et avortée. La crise économique et l'aggravation de la désarticulation et de la marginalité sociales expliquent, pour une large part, son relatif succès auprès d'une partie de la population en déshérence, en particulier les nouvelles générations urbaines sans réelles perspectives d'avenir. L'islamisme représente également un des effets du profond malaise culturel de la Tunisie profonde avec la modernité. L'extension accélérée et chaotique des modes de vie et de consommation urbains, l'importation de procédés de fabrication et de marchandises conçus ailleurs, la transposition de modèles politiques et administratifs inadaptés ont provoqué des dérèglements et des traumatismes inquiétants provoquant la désagrégation des structures anciennes, l’érosion des contenus de la tradition, la dissolution des liens de solidarité communautaire et des repères hérités du passé sans que ces processus ne se traduisent par la série de ruptures et de changements qualitatifs qui furent au fondement avec la philosophie de la modernité.  Dans ce contexte marqué par l'aggravation des sentiments d'inquiétude et de désarroi, les islamistes tentent de capter toutes les formes de ressentiments et d'injustice, et prétendent trouver directement dans le message coranique et dans la tradition prophétique des solutions toutes faites aux problèmes du présent. Pour éviter aux jeunes de sombrer dans le désespoir, ils préconisent un retour à la pratique religieuse et à « l'ordre moral  islamique ». Ils entendent réactiver les vieilles idéologies solidaristes et communautaristes en les présentant comme une issue à l'anomie sociale et à l'individualisme moderne, et comme une réponse miracle à la demande d'intégration sociale et culturelle des couches sociales en détresse, et au désir profond de spiritualisation d'un monde désincarné par l'accumulation systématique des richesses et par la recherche effrénée des biens matériels. Les multiples associations qui forment la nébuleuse complexe de l'islamisme se veulent structures protectrices, communautés d'accueil, de ressourcement spirituel et de solidarité sociale ; elles aspirent à transcender le déracinement, à sublimer les frustrations et à permettre de supporter les conséquences d'une modernisation perçue comme allogène et destructrice. Surement, cela marque les limites de la méthodologie islamiste mais la réalité socio-économique qui les ont porté au pouvoir sont toujours là et ne sont pas prêtes de s’effacer dans une perspective de cours terme mais avec le recul, il apparaît que l’action politique des islamistes reste loin d’aboutir à la mise en place d’un État moderne. Maintenant il reste à savoir comment la laïcité se libérera-t-elle du complexe islamiste ?  Et comment appréhendera-t-on la question du multiculturalisme et de la différence dans un contexte pluriel et démocratique loin de la théocratisation du discours politique ? 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire