mercredi 6 août 2014

Les démocrates tunisiens : D'une crise à l'autre !





Depuis le 23 octobre 2012, la Tunisie postrévolutionnaire  est confrontée à des crises politiques récurrentes dont l'une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Cette contestation a pris un relief particulier avec l’assassinat du Mohamed Brahmi le jour de la fête de la République. En vue de mettre fin à cette crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se reconstruire, les délégués de la classe politique et de la société civile, forces vives de la Nation, réunis en Dialogue inter-tunisien, ont convenu de mettre en place une nouvelle feuille de route, fondée sur un projet d’une République démocratique sur base de laquelle le peuple puisse choisir souverainement ses dirigeants, au terme des élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles. Néanmoins, la crise démocratique en Tunisie est réelle, multiforme et grave. Il est important de le souligner tant le mot « crise » est aujourd’hui galvaudé. Réelle et multiforme, la crise l’est parce que sa nature est double, voire triple. Il s’agit d’une part d’une crise électorale, dont on peut mesurer l’aggravation et l’accélération tout particulièrement ces derniers mois. En outre, elle touche l’ensemble de la famille socialiste/social-démocrate. En effet, la précédente crise générale de la l’esprit démocratique concernait surtout les partis sociaux-démocrates classiques mais la crise actuelle, à l’inverse, ne semble pas connaître de frontière : les sociaux-démocrates tunisiens ont connu des scores historiquement bas lors de la première élection libre après la chute de l’Ancien Régime ; le Forum démocratique pour le travail et les liberté(Ettakatol), arrivé en troisième position aux élections de l’Assemblé Nationale Constituante (ANC) , a perdu plus de 20% de ses membres suite à des dissidence ; le Parti Démocrate Progressiste, qui devint Al-Joumhouri dès Avril 2012, a été classé quatrième durant les élections de l’ANC…(etc.). Partout les sociaux-démocrates sont en difficulté mais si cette crise est aussi grave, c’est parce qu’il s’agit d’autre part  d’une crise de projet en insistant sur les conséquences terribles pour la social-démocratie de la perte de la base matérielle de ses politiques de redistribution et de progrès social. « Afek Tounès », ou plutôt l’option socio-libérale, a certes représenté un projet cohérent, assumant les choix d’une priorité à l’efficacité économique plutôt qu’à la justice sociale, et de l’intégration du paradigme néolibéral à la nouvelle identité social-démocrate de la Tunisie postrévolutionnaire. Cependant, le succès de cette nouvelle voie politique a été électoralement éphémère. De plus, en remettant en cause le cœur de l’identité social-démocrate, à savoir son lien aux plus défavorisés et aux réalités de la Tunisie profonde, nous pouvons dire qu’elle a accouché d’une troisième crise, une crise épistémologique. Surtout, et nous en revenons à la dimension du projet, elle apparaît obsolète à l’heure d’une crise économique et financière mondiale qui ébranle le paradigme néolibéral au cœur du capitalisme contemporain. Associée aux dérives de ce dernier pour ne pas les avoir prévenues, voire les avoir encouragées, en deuil d’un projet social-démocrate dont les conditions historiques ont disparu, la social-démocratie est donc en incapacité de proposer une alternative à un « consensus néolibéral » ébranlé par la crise. De fait, elle ne semble plus avoir de spécificité qui la distingue des autres partis de gouvernement sur le plan économique et social. L’actualité récente est là pour le prouver. Alors qu’elle a été une force d’impulsion, au début du changement révolutionnaire, la social-démocratie ne semble plus vouée qu’à subir le cours de l’histoire et se conformer à l’orthodoxie économique du moment, étant elle-même dépourvue de tout projet alternatif.

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