mercredi 22 avril 2020

Le Coronavirus et le choc de la transmission de l’information savante




Jamais l’information scientifique n’a autant animé les cercles de débats médiatiques comme nos jours, à cause de la crise sanitaire provoquée par le Coronavirus. Ces débats se cristallisent d’abord autour des de la transmission de l’information académique à un public non instruit, et d’autre part autour de la nature de la communications des chercheurs qui se trouvent obliger de sortir en public afin de confronter la pression sociale. Dès lors, tout en prenant appui sur l’enjeu de la diffusion de l’information académique, se pose plus clairement la question de la redéfinition de la sphère de la communication scientifique qui comprend désormais une audience plus large et des attentes sociétales et socio-économiques plus importantes. Les modalités de production de l’information scientifique, associées à d’autres normes de communication, se retrouvent ainsi redéfinies à l’aune des modalités de la diffusion ouverte.
Dans un monde marqué par une crise sans précédent, l’information académique devint un enjeu d’État puisque les économies nationales dépendent de plus en plus de l’application des connaissances scientifiques et techniques pour sortir de l’impasse actuelle. C’est pour cette raison que la Tunisie doit formuler, le plus vite possible, sa politique nationale de diffusion de l’information académique, puis se procurer les moyens de la mettre en œuvre. Ainsi, le recours à des médiateurs pour transmettre l’information académique d’une manière pédagogique et simple au grand public semble une des solutions pour pouvoir combattre la crise. C’est pourquoi il serait essentiel de mélanger systématiquement des questions dites de culture générale avec les questions scientifiques, afin d’attirer plus d’audience. Cette méthode peut poser un problème fondamental concernant le profil des usagers de la communication scientifique.
Il faut souligner, dans le même sens, un autre point important : si l’on souhaite vraiment atteindre un public large, la communication sociale doit être envisagée comme un jeu à somme nulle. Il est en effet évident que la capacité des citoyens à intégrer des connaissances n’est pas indéfiniment extensible, non seulement parce que l’allocation du temps de chacun repose sur des choix exclusifs, mais aussi parce que les capacités cognitives de tout individu, notamment sa mémoire, sont limitées et déjà utilisées. Une personne connaissant mal la médecine ou l’Histoire n’est pas une outre vide, qui ne demande qu’à être remplie de savoirs : elle peut être infiniment plus savante que nous en matière de musique ou de spectacle. D’où il résulte qu’il est vain d’envisager l’information scientifique comme un ensemble de connaissances à injecter en plus. Les connaissances scientifiques sont en concurrence directe avec les matchs de football, les émissions people et les recettes de cuisine, ce qui implique une nouvelle méthodologie de communication académique. On retrouve ici la relation approximative entre l’amplification sociale du message scientifique et sa dégradation par rapport à la sphère savante.  Un moyen très simple pourrait être, par exemple, de tenter de raisonner en termes de bilan cognitif global, c’est-à-dire de confronter dans tous les cas le coût épistémologique d’un message (la simplification, ou la dégradation des savoirs qu’il véhicule) à sa pertinence et sa portée sociale. Cette approche pragmatique permettrait peut-être de clarifier les problèmes qui se rencontrent à grande échelle mais aussi, sur le terrain dans les éternelles polémiques autour de la valeur sociale de l’information savante.
En effet, l’incapacité de vulgariser l’information savante constitue un problème majeur. À titre purement exploratoire, nous avons, par exemple, regardé pendant quelques jours toutes les dépêches traitant des sciences médicales publiées sur Internet par des grandes agences de presse mondiales : d’un point de vue purement académique, une grandes partie de ces travaux nous ont paru critiquables pour une raison ou pour une autre, mais d’un point de vue médiatique, il nous a semblé que le traitement de beaucoup de celles-ci était naturel dans ce cadre de crise. Le fossé entre l’analyse et la pratique de la vulgarisation est particulièrement spectaculaire lorsque l’on compare les ouvrages savants, parfois assez austères, et les manuels de conseils pratiques, dont la naïveté est le plus souvent déconcertante. Ainsi s’explique en partie le fait que de nombreuses questions liées à la sociabilité de l’information savante restent sans solution. Plusieurs zones d’ombre sont également liées au peu d’efforts publics visant à mieux coordonner et, en contrepartie, à mieux financer les recherches en la matière et à les faire connaître.

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