lundi 3 décembre 2012

Manifeste philosophique de la liberté



Depuis la révolution tunisienne, il est peu de réalité aussi essentielle et aussi sujette à disputes que la liberté. Les discours qui la nient ne manquent pas et les oppressions qui la bafouent sont légion. La liberté semble semble être l’objet des discours les plus contradictoires selon les différentes idéologies politico-philosophique ce qui nous amène à poser la question suivante : Que signifie la liberté ? Les difficultés d’une définition de la notion de la liberté sont en effet nombreuses. Tout d’abord, parce que la liberté est souvent présentée comme un objet de conquête et simultanément comme une réalité inaliénable.  Tout à la fois un idéal et une réalité constructive de la citoyenneté. Pourtant, si elle est à conquérir, elle n’est pas déjà donnée ; si, en revanche, elle est inaliénable, elle est toujours là. Ces deux pôles induisent à leur tour des contradictions : si on la tient pour inaliénable, sa défense apparaît inutile et contradictoire ; si on la défend, elle peut être tenue pour une réalité fragile car elle est lié à son contexte historique.  Cette première difficulté conduit à une seconde : la définition consiste à tracer sa signification profonde. En effet, la liberté est toujours liée à la pensée humaniste. Ce lien par des luttes socio-politique contre la pensée unique et les régimes totalitaires suppose aussi un travail du sujet sur lui-même.  Les traités de Spinoza et de Malebranche qui précèdent de près de vingt ans la parution de l’ouvrage de Locke intitulé « An Essay concerning human understanding » le montre très bien. C’est dans le Livre II, de John Locke consacré à la  puissance (power), que  notre philosophe donne sa conception de la liberté : «  so far as a man has power to think or not to think, to move or not to move, according to the preference or direction of his own mind, so far is a man free… So that the idea of liberty is, the idea of power in any agent to do or forbear any particular action …». La présence des termes « force » et « puissance » dans ces définitions de la liberté atteste peut être du rôle joué à l’époque en philosophie naturelle par l’apport conceptuel des théoriciens du mouvement, de la mécanique, Huygens en particulier. Alors que chez Malebranche la liberté reste une « puissance appétitive » pour utiliser  l’expression de Saint Thomas, l’idée que s’en fait  Locke semble avoir davantage de  valeur générale. La physique et les mathématiques contemporaines, qui visent également à  l’universalité, ne font pas appel au concept de liberté en soi ; il leur arrive d’employer la terminologie « degrés de liberté » pour laquelle ils possèdent des définitions bien  formalisées dans des cadres particuliers précis. Si la liberté pure et le déterminisme absolu sont en opposition, par contre déterminisme et nécessité font bon ménage. Sur ce dernier point, sur lequel la littérature moderne abonde, et dans la perspective historique de ce paragraphe, je ne retiendrai ici  que les points de vue de philosophes importants du  Moyen Age, les philosophes persans, Avicenne (né en 958) et Al Gâzâli al Tousi (né en 1058), lequel reprend beaucoup Avicenne. Celui-ci, médecin, expérimentateur, est sans doute le meilleur des  « élèves » d’Aristote semblent avoir été, avec Aristote, les grands maîtres de la philosophie de leur époque. La citation suivante d’Avicenne, résume en partie son jugement : « Les décisions de notre volonté [dit Avicenne dans sa métaphysique] ne sont qu’après avoir pas été ; or toute chose dont l’existence a été précédée de non-existence est une chose qui a une cause ; partant, toute décision volontaire qui se produit en nous a une cause. La série de ces causes, d’ailleurs, ne remonte pas à l’infini [à l’intérieur de notre âme] ; elle aboutit à certains évènements qui sont  arrivés du dehors ; ces évènements sont terrestres ou célestes ; mais les évènements terrestres proviennent des évènements célestes ; la collection, donc, de ces évènements provient d’une manière nécessaire de la nécessité de la volonté divine.  Quant au hasard, il se produit par le concours de toutes ces choses ; lors donc que vous les aurez toutes résolues d’une manière parfaite, elles se trouveront réduites à des principes dont la nécessité descend de Dieu…Si quelqu’un des hommes pouvait connaître toutes les choses qui s’accomplissent [présentement] au ciel et sur la terre, et savoir quelles en sont les natures, il connaîtrait assurément quelles choses doivent arriver et comment elles arriveront ». Les points de vue de ce grand penseur sur la cause, la nécessité et le déterminisme ont été repris par Jean de Jaudun qui disait :  «  Il lui [Aristote] faut admettre, en effet, que tous les êtres sont nécessaires, suivant un certain mode de nécessité ; aussi a-t-il admis que  toute chose qui sera dans l’avenir adviendra d’une manière nécessaire. Toutefois, pour comprendre ce que dit Aristote, il convient de remarquer qu’il y a deux sortes de nécessités. Il y a une nécessité continue, qui est en tout temps et chaque partie du temps ». La vision de notre monde observable, telle qu’elle ressort de ces lignes, n’est guère originale. Elle est présente chez Platon pour qui  la cause et le hasard sont omniprésents. Ruinant notre pensée en notre indépendance, elle semble faire de nous des êtres assujettis. Elle donnerait alors crédit aux affirmations de bien des religions.  Il faut en examiner la principale conséquence, elle est d’ordre psychologique : nous avons tendance à rejeter cette conclusion d’assujettissement, elle nous dérange profondément ; ce qui, sur le plan intellectuel, conduit en général à l’affirmer comme inexacte, et sur le plan social, collectif, peut animer des formes de révolte.  Quelle(s) raison(s) pourrai(en)t justifier ce malaise ? Je n’en vois clairement qu’une, mais elle est de taille. L’univers dans lequel nous vivons est de nature héraclitéenne, c’est-à-dire conflictuelle. Chaque objet passe par une phase de développement expansif, et le conflit apparaît lorsque s’entrechoquent au sein du même espace les domaines attachés à deux objets distincts. La survie de chaque objet suppose donc en interne la présence de mécanismes de  transformation, d’adaptation de l’objet aux impératifs des conflits, sous leur forme présente ou pressentie. L’intime croyance en notre liberté est très probablement une forme d’expression de la subtile perception interne que nous avons de notre indispensable et présente capacité d’évolution.  Cette capacité, plus ou moins accusée, est inhérente à tout objet, qu’il soit individuel ou collectif. Elle dépend aussi en partie, dans sa force de conviction, et en ce qui nous concerne, de l’étendue de nos réserves organiques, capables de se différencier ou d’être utilisées à des fins de remplacement, de renouvellement, de substitution, d’organisations nouvelles. Le sentiment de liberté, que nous sommes maîtres de nos décisions, paraît alors être souvent une illusion positive, qui vient d’abord de ce que nous percevons un certain nombre de contraintes, internes à notre personne ou internalisées. Nous croyons être capables de les modeler, de les assujettir. Ce sont en fait ces contraintes qui nous maîtrisent car elles sont dépendantes d’un très grand nombre d’autres contraintes, exerçant leurs effets immédiatement ou avec retard, et que nous percevons peu ou pas du tout.  Par ailleurs, en sens contraire et comme je l’ai déjà mentionné, l’acteur se croit également libre du fait qu’il ne parvient pas à percevoir la totalité des contraintes qui contribuent à façonner sa décision. Nous avons aussi conscience d’une forme d’infinité dans les manières dont les contraintes peuvent peser et induire des modifications des transformations, des comportements. D’où vient que l’égalité parfaite entre deux objets quelconques est impossible ou exceptionnel. Nous avons alors aussi subtilement conscience du caractère unique, singulier, ou quasiment unique de chaque chose, de chaque objet, de chaque processus, et donc de nous-mêmes. La mise en contact permanente avec ces infinités de comportements et de singularités à tendance aussi à produire cette enivrante impression de liberté. Elle nous est enfin nécessaire pour chasser les sombres nuages qui peuvent obscurcir nos horizons, pour permettre que s’implante en notre esprit, les formes de la volonté, le désir de créer, l’ouverture à la vie, l’espoir.

1 commentaire:

  1. "By academic freedom I understand the right to search for truth and to publish and teach what one holds to be true. This right implies also a duty: one must not conceal any part of what on has recognized to be true. It is evident that any restriction on academic freedom acts in such a way as to hamper the dissemination of knowledge among the people and thereby impedes national judgment and action."

    Albert Einstein

    Un très bon travail avec des pensées remarquable. Merci beaucoup :)

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